Birmanie : des centaines de milliers de manifestants de nouveau dans la rue malgré les menaces et les arrestations
Malgré l’interdiction de la junte, les contestataires étaient de nouveau très nombreux à défiler contre le coup d’Etat militaire.
Malgré les nouvelles arrestations ordonnées par la junte birmane, des centaines de milliers de manifestants étaient de nouveau dans les rues, vendredi 12 février. Bravant l’interdiction de rassemblements, les contestataires étaient encore une fois très nombreux à défiler contre le putsch militaire du 1er février, vivement condamné à travers le monde. Washington a d’ailleurs listé jeudi de nouvelles sanctions contre les généraux qui ont renversé Aung San Suu Kyi.
A Rangoun, la capitale économique, des médecins, des étudiants et des salariés du privé ont marché dans une des grandes artères de la ville. « Rendez-nous notre gouvernement élu ! », « respectez notre vote ! », scandaient-ils. Des joueurs de football professionnels ont rejoint la fronde. « Nous détestons ce putsch encore plus que Manchester United ! », pouvait-on lire sur une banderole.
Des contestataires arboraient sur leur tee-shirt un ruban rouge aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi ; d’autres brandissaient des portraits de l’ancienne dirigeante de 75 ans, détenue au secret depuis douze jours. « Nous ne reprendrons le travail que quand le gouvernement civil de “Mother Suu” sera rétabli. Peu importent les menaces », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), Wai Yan Phyo, un médecin de 24 ans.
Dispersion brutale
Des rassemblements avaient lieu dans plusieurs autres villes, comme à Naypyidaw, la capitale administrative. Les manifestations étaient largement pacifiques, mais la tension était palpable.
Les forces de l’ordre ont dispersé brutalement un sit-in dans le sud du pays et interpellé au moins cinq personnes. Plusieurs personnes ont été légèrement blessées par des tirs de balles en caoutchouc et au moins cinq autres interpellées. Trois jours plus tôt, deux manifestants avaient été gravement blessés par des tirs à balles réelles, dont une jeune femme toujours dans un état critique.
Le pays n’a pas connu un tel mouvement de contestation depuis la « révolution de safran », menée par des moines en 2007. Policiers, contrôleurs aériens, enseignants, professionnels de santé, un nombre important de fonctionnaires se sont mis en grève. Le chef de la junte, Min Aung Hlaing, leur a ordonné jeudi dans un communiqué de reprendre le travail, faute de quoi « des actions efficaces seront prises » à leur encontre.
Près de 350 personnes ont été placées en détention depuis le coup, selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Parmi elles, des responsables locaux, des députés, des membres de la commission électorale, des activistes. Dans le même temps, plus de 23 000 prisonniers vont être libérés, a annoncé le journal d’Etat Global New Light Of Myanmar. Aucune précision n’a été apportée quant au profil de ces détenus, mais des amnisties de masse se produisent parfois dans le pays.
Santion américaine
Les événements restaient au cœur de l’agenda international. Washington va bloquer les actifs et les transactions aux Etats-Unis de dix responsables militaires ou anciens militaires tenus pour responsables du putsch, dont Min Aung Hlaing.
Mais les généraux birmans ne détiennent pas d’intérêts très importants outre-Atlantique, contrairement à Singapour, et ce genre de mesures n’a pas empêché dans le passé la junte de se maintenir à la tête du pays, relèvent des observateurs.
Trois sociétés, détenues ou contrôlées par l’armée dans le secteur très lucratif des pierres précieuses, sont également ciblées par l’administration américaine qui a fait planer la possibilité de mesures coercitives supplémentaires. Le Royaume-Uni et l’Union européenne ont aussi brandi la menace de sanctions.
L’ONU accroît la pression
« Le monde entier regarde » la répression en Birmanie, a averti vendredi l’ONU, en demandant des sanctions ciblées à l’encontre des responsables du putsch militaire afin de ne pas plonger la population dans la misère. S’exprimant à l’occasion d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur la Birmanie demandée par les Européens, la Haute-Commissaire adjointe Nada Al-Nashif a rapporté que l’ONU suivait « de près la situation de plus de 350 responsables politiques, représentants de l’Etat, militants et membres de la société civile, y compris des journalistes, des moines et des étudiants, qui ont été placés en détention ».
« Le monde entier regarde », a ajouté l’adjointe de Michelle Bachelet à l’adresse des militaires au pouvoir, en jugeant « inacceptable » l’usage de la violence contre les manifestants et en déplorant « les mesures draconiennes prises pour empêcher les réunions pacifiques et entraver la liberté d’expression » ainsi que le renforcement de la présence policière et militaire dans les rues.
L’ambassadeur birman auprès de l’ONU, Myint Thu, a de son côté justifié l’action des forces armées, prises notamment « à la lumière des irrégularités postélectorales ». « La Birmanie connaît des défis extrêmement complexes et une transition délicate. (…) Nous attendons donc avec impatience qu’il y ait une meilleure compréhension de la situation qui prévaut dans le pays ainsi qu’une coopération constructive de la part de la communauté internationale », a-t-il réagi.
Soutiens traditionnels de l’armée birmane, Moscou et Pékin ont apporté leur appui sans faille à la Birmanie, leurs ambassadeurs auprès de l’ONU, Gennady Gatilov et Chen Xu, assurant qu’il s’agit d’une « affaire interne » qui nécessite un « dialogue » avec les parties intéressées.
La junte censurée par les géants d’Internet
Des géants de l’Internet – dont Facebook, Google et Twitter – ont aussi réagi, dénonçant un projet de loi sur la cybersécurité qui permettra à la junte d’interdire des sites Web et d’obliger les réseaux sociaux à transmettre des métadonnées d’utilisateurs.
Facebook a déclaré qu’il réduirait la visibilité du contenu géré par l’armée, affirmant qu’elle avait « continué à répandre de fausses informations » après sa prise de pouvoir. « Les autorités n’auront aussi jusqu’à nouvel ordre plus la possibilité de nous demander de supprimer des publications », a ajouté la plate-forme, principal outil de communication pour des millions de Birmans.
La junte conteste la régularité des élections de novembre, remportées massivement par la LND. En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d’Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution.
Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité lors des exactions contre les Rohingyas, la Prix Nobel de la paix 1991, en résidence surveillée pendant quinze ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays.
La Birmanie a déjà vécu près de cinquante ans sous le joug des militaires depuis son indépendance, en 1948, avec des répressions sanglantes lors des derniers soulèvements populaires de 1988 et de 2007.
Le Monde avec Agence France Presse – 12 février 2021
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