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Le Vietnam, allié discret et modèle de la Corée du Nord

C’était il y a deux ans déjà : le 27 février 2019 avait lieu à Hanoï – la capitale vietnamienne – la deuxième rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, faisant suite à celle de juin 2018 à Singapour. 

Le choix du Vietnam pour accueillir l’entrevue n’était pas un hasard : les États-Unis, la Corée et le Vietnam ont partagé lors de la seconde moitié du 20e siècle une histoire commune faite de déchirure et de réconciliations. Face à « l’ennemi américain », les deux pays asiatiques ont connu une trajectoire en de nombreux points parallèle, mais qui n’a pas été un long fleuve tranquille, tant s’en faut ? Afin d’assurer un développement économique indispensable à la survie de son régime et de sortir de sa dépendance quasi exclusive à la Chine, la Corée du Nord lorgne vers le cousin socialiste vietnamien – un cousin « à taille humaine » comparé au colossal voisin chinois.

Unis par la guerre, divisés dans la paix

À l’issu de cette rencontre avec son homologue américain, Kim Jong-un avait prolongé son séjour à Hanoï. En plus de la main tendue aux États-Unis, il s’agissait pour lui de faire d’une pierre deux coups, en ravivant les liens entre son pays et le Vietnam grâce à une visite d’État – la première d’un dirigeant nord-coréen depuis 1964.

À cette époque, les liens entre Hanoï et Pyongyang étaient très étroits, en raison de leur idéologie communiste nationaliste commune, d’une situation géopolitique similaire (avec une moitié sud non communiste et soutenue par l’Occident) et d’une haine partagée pour l’envahisseur américain. En 1958, cinq ans après la fin de la guerre de Corée – qui s’est soldée par un « match nul » scindant le pays en deux – les leaders nord-coréen et vietnamien signèrent à Hanoï une déclaration commune pour socialisme et contre la présence militaire américaine. La Corée du Nord était alors prête à hypothéquer ses plans de développement économique afin de fournir une aide militaire au Vietnam, y compris en hommes (avec l’envoi de pilotes de chasse par exemple). Une aide d’autant plus motivée que le frère ennemi sud-coréen fut le plus grand contributeur en troupes étrangères après les États-Unis lors de la guerre du Vietnam, avec environ 320 000 soldats envoyés par Séoul pendant la durée du conflit. Une présence qui a laissé des séquelles, puisqu’on estime que dizaines de milliers de femmes et jeunes filles vietnamiennes – certaines n’avaient que 12 ou 13 ans – ont été violées par les soldats sud-coréens.

Près de 800 d’entre elles sont toujours en vie et les enfants nés de ces viols, qualifiés de «Lai Dai Han» («sang mêlé» en vietnamien),  demeurent un douloureux sujet plombant les relations entre le Vietnam et la Corée du sud, cette dernière refusant toujours de reconnaître ces crimes de guerre. En janvier 2019, la prix Nobel de la Paix Nadia Murad, particulièrement engagée sur les violences sexuelles lors des conflits armés, avait même demandé publiquement au gouvernement de Séoul de reconnaître son Histoire et de faire amende honorable, comme le réclament les victimes vietnamiennes, en vain. Comme le rappelait récemment l’ancien premier-ministre sud-africain dans une tribune du Guardian « Ces enfants attendent que justice leur soit rendue depuis plusieurs décennies, au cours desquelles ils ont été confrontés à la stigmatisation, à la honte et aux préjugés ». En 2013, le ministre de la Défense sud-coréen avait pourtant déclaré que ces accusations étaient infondées, et que « de tels massacres étaient impossibles ». Une ligne officielle qui n’a pas varié depuis, et qui limite un rapprochement diplomatique plus fort entre Hanoi et Séoul.

Car malgré des partenariats économiques fructueux, cette délicate question mémorielle continue d’empêcher le Vietnam de nouer une réelle alliance avec la Corée du Sud. Une situation qui fait pour l’instant les affaires de Pyongyang, pour qui les relations avec Hanoï n’ont pas toujours été au beau fixe.

Car si la guerre a uni la Corée du Nord et le Vietnam pendant plus de deux décennies, le départ de l’ennemi commun américain marqua un coup d’arrêt dans leurs relations. À partir de 1975, si les deux pays sont communistes, l’un sera soutenu par l’URSS, et l’autre par la Chine. L’Union soviétique a ainsi soutenu l’occupation du Cambodge par le Vietnam, tandis que Pyongyang a dénoncé les ambitions de Hanoï dans ce qui était l’Indochine, et est resté silencieux lorsque la Chine a déclenché un conflit frontalier avec le Vietnam en 1979.

Et même si les relations se sont un peu améliorées à la fin des années 80 lorsque le Vietnam a retiré ses troupes du Cambodge, Hanoï et Pyongyang ont interrompu leurs relations intergouvernementales pendant huit ans lorsque le Vietnam a établi des liens avec la Corée du Sud en 1992.

Le Vietnam, un modèle de transition

À l’orée du 21e siècle, ce sont des raisons économiques qui ont poussé la Corée du Nord à se rapprocher à nouveau du cousin vietnamien : après la famine des années 1990 et face à l’insolente croissance économique de la Chine et du Vietnam socialistes, Pyongyang a réalisé que la réforme de son système économique était une nécessité vitale, mais que celle-ci pouvait être réalisée sans changement politique.

Alors que les experts de Fitch Solutions estiment que le PIB nord-coréen s’est contracté en 2020 d’au moins 8,5 % (le ramenant ainsi à son niveau d’il y a 10 ans), celui du Vietnam a réussi à se maintenir à 2,4%, et la croissance du pays de 98 millions d’habitants n’est jamais descendue en dessous de 5% depuis 1988. Des performances qui ont de quoi faire rêver Pyongyang, et qui sont dues à une politique d’ouverture de l’économie appelée « Doi Moi » (« renouveau ») mise en œuvre par Hanoï dès la fin des années 1980. Celle-ci repose sur une baisse des subventions étatiques et un basculement vers l’économie de marché, attirant ainsi les capitaux étrangers. Dans ces conditions, il est compréhensible que les dirigeants nord-coréens se demandent « pourquoi pas nous? ». Une question à laquelle le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait apporté une réponse optimiste en juillet 2018, lors d’une visite officielle à Hanoï : « Votre pays peut reproduire [le] chemin [du Vietnam] (…) C’est à vous, si vous saisissez ce moment. Ce miracle peut être le vôtre. »

Des premiers signes encourageants de cette volonté de changement sont déjà visibles : même si officiellement le régime ne démord pas de la rhétorique communiste d’une économie dirigée par l’Etat, la reconnaissance de facto des droits de propriété s’est accrue, des PME apparaissent et des milliers de Nord-Coréens sont formés à l’économie, aux affaires et à l’entrepreneuriat. Mais le chemin sera long pour la Corée du Nord, car de nombreux obstacles majeurs demeurent, parmi lesquelles des relations avec l’extérieur pour l’instant limitées à la Chine, un manque de clarté de la législation (la fiscalité, par exemple, n’est pas inscrite dans la loi), ou un sévère manque de capitaux. On peut aussi craindre que l’échec des négociations avec les États-Unis et la pandémie de Covid-19 ne fassent retomber le régime nord-coréen dans ses vieux travers isolationnistes et autarciques.

Quoiqu’il en soit, la Corée du Nord ne pourra plus faire abstraction du fait que, à 3000km de chez elle, un pays qui fut également ravagé par la guerre et qui a su conserver un régime socialiste possède désormais un PIB par habitant cinq fois supérieur au sien.

Affaires Internationales – 12 mars 2021

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