La gestion des déchets en Thaïlande : enquête à la décharge
Eaux turquoises et grandes étendues de sable coralien blanc et fin: la Thaïlande carte postale fait toujours rêver. Mais derrière les plages paradisiaques aux reflets translucides, c’est souvent la plongée en eaux troubles qui attend le touriste un peu trop curieux.
La Thaïlande abrite ainsi un très grand nombre de décharges à ciel ouvert qui rendent la carte postale un peu moins attrayante, comme sur l’île de Koh Tao.
Regarder au-delà des allures paradisiaques de l’île réserve des surprises. Au cœur de cette oasis aux eaux bleues se trouve une immense décharge à ciel ouvert, symptôme de la gestion déficiente des déchets en Thaïlande.
Koh Tao, cette île magnifique, aux eaux cristallines et aux collines ondoyantes parsemées de rochers… et de déchets. En son centre, hors des sentiers battus fréquentés par les touristes, sont entassées de petites collines de déchets aux odeurs nauséabondes, où s’égayent essaims de mouches et quelques chiens errants.
Une description qui ne colle pas à l’idée qu’on se fait de cette si touristique île de Surat Thani, mais qui représente pourtant une réalité bien présente en Thaïlande.
Des très vieux déchets qui finiront brûlés
L’endroit de la décharge est si peu fréquenté que même les locaux ne le connaissent pas toujours. « Ça fait 3 ans que j’habite ici, et je n’avais jamais vu ça », s’éberlue un farang, tout en ajoutant un pneu au monticule de déchets.
Le cocktail d’un occidental exprimant son effarement devant l’existence de ce fléau environnemental, tout en y contribuant concrètement et simultanément, peut paraître ironique et choquant.
Mais en effet, où jeter ses déchets ? Comment s’en débarrasser sans avoir un impact sur l’environnement thaïlandais ?
La réponse n’existe peut-être pas, ou en tous cas, pas toujours.
« Certains déchets sont là depuis une bonne douzaine d’année. Ils sont restés ici bien plus longtemps que moi »
LARA, UNE ÉCOSSAISE HABITANT À KOH TAO DEPUIS 7 ANS.
Juste à côté de la décharge, elle s’occupe de chiens abandonnés sur l’île, en surnombre, et s’applique à les dresser et les nourrir en attendant de trouver d’être adoptés, potentiellement à l’international.
Alpagué par Lara, l’un de ses collègues ne peut pas fournir une réponse plus précise sur la longévité de cette décharge. « Elle a toujours été ici », répond-il en haussant les épaules.
« Tu vois ici, ce trou ? », demande-t-elle en désignant un immense espace vacant dans la colline. « C’était la décharge. Il y avait des déchets partout. Ils sont venus tout nettoyer avec des compacteurs, les ont compressés en blocs pour les bouger là-bas. »
« Ils ont un contrat, et certains d’entre eux bougeront les ordures sur le continent. Ils les brûleront sûrement. Tant qu’ils ne les brûlent pas ici… », ajoute Laura.
Ce « ils » dont elle parle paraît bien flou. Sociétés de nettoyage privées payées de temps à autre par le gouvernement ? Service public de la gestion des déchets ? En tous cas, l’avenir de la plupart des ordures est dans leur crémation.
La gestion défaillante des déchets est multifactorielle
Lorsqu’on cherche à en savoir plus, on est assurément bloqués devant le mur opaque de la politique de gestion des déchets du gouvernement.
C’est un fait établi : l’Asie du Sud-Est a un problème avec les ordures, exacerbé par sa gourmandise en plastique et par l’importation de déchets en provenance des pays occidentaux, faisant de ces pays asiatiques des « poubelles du monde ».
Pour autant, la consommation en plastique n’est pas plus faible dans les pays occidentaux comme la France. Selon ourworldlindata.org , la Thaïlande est en 11e position de la plus grosse consommation de plastique par habitant, avec 50 kg par an, tandis que la France occupe la 6e place avec près de 70 kg par an
La différence ? La manière dont le plastique et sa nouvelle vie sont gérés.
En 2017, la Chine a imposé un embargo sur les déchets, ce qui a drastiquement augmenté la quantité exportée vers la Thaïlande et les autres pays de l’Asean.
En France, l’efficacité des infrastructures de tri et de collecte rend improbable la pollution plastique dans l’environnement. En revanche, en Thaïlande, ces établissements de traitement des déchets se font remarquer par leur absence.
Les très rares points de recyclage qu’on peut trouver, laissent planer le doute sur leur effective réutilisation des matières plastiques. Pourtant, près de deux tiers des déchets produits par les Thaïlandais sont des déchets organiques (principalement des restes de nourriture), qui pourraient être facilement utilisés à bon escient lorsque séparés des déchets plastiques.
En face de Pattaya l’île de Koh Larn est devenu une décharge à ciel ouvert, une île poubelle envahie par des tonnes de sacs en plastique.
Mais 64% de la population ne trie pas ses déchets, selon une étude du Département de Contrôle de la Pollution (PCD), et le gaspillage est énorme. Ce chiffre résulte d’un manque d’éducation ou d’information de la part du gouvernement quant à l’importance de leur avenir sur l’environnement.
Ce fait a été accentué par la pandémie ; la panique autour du Covid-19, particulièrement importante à Bangkok, a fait exploser les livraisons de repas, qui consomment presque plus de plastique que de nourriture.
Dans ce pays 6e plus gros pollueur des océans, où un habitant consomme en moyenne 8 sacs plastique par jour, seuls 19% des déchets plastiques générés l’année dernière ont été recyclés, chiffre assez désespérant qui met à mal la crédibilité du gouvernement lorsqu’il ambitionne de recycler 100% du plastique à l’horizon 2027.
De petites initiatives sont prises pour encourager le recyclage, comme la startup GEPP active à Bangkok et à Chiang Mai, qui paye ménages, restaurants ou écoles en échange du recyclage de leurs déchets, en plus de fournir des données sur sa collecte au gouvernement.
Néanmoins, il manque une véritable action coordinatrice du gouvernement pour amorcer un réel processus de recyclage des déchets.
La décharge de Koh Tao n’est pas un cas isolé : sur toutes les îles, les déchets s’amassent en attendant d’être amenés sur le continent pour disparaître en polluant l’air.
Par Mauhaut d’Anchald – Thailande-fr.com – 13 juin 2021
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