« Aucun regret »: des milliers de dissidents birmans dans la clandestinité depuis le coup d’Etat
Ils ont tout abandonné et œuvrent dans l’ombre contre la junte: des milliers de dissidents vivent dans la clandestinité depuis le coup d’État en Birmanie, réfugiés pour certains au cœur de la jungle dans des territoires contrôlés par des factions ethniques rebelles.
Quitter sa famille et ses repères, changer en permanence de cache, de téléphone portable, beaucoup n’auraient jamais imaginé devoir un jour vivre ainsi. Mais ils disent n’avoir « aucun regret ».
– L’artiste-
« J’ai fui par la porte de derrière (…) je n’ai même pas pu dire au revoir à mon chien. Il est mort le 4 mai », soupire Ko Thein, un musicien qui a demandé à l’AFP à témoigner sous une fausse identité.
L’artiste a mis longtemps à accepter de tout quitter.
Pendant des semaines, il poste des messages assassins sur les réseaux sociaux contre les généraux putschistes qui ont renversé Aung San Suu Kyi le 1er février et n’écoute pas ses amis qui le supplient de fuir.
« J’étais têtu, je ne voulais pas laisser ma maison de Rangoun, construite avec amour année après année ».
Début avril, sa vie bascule quand son nom est diffusé par la télévision d’État parmi les personnes recherchées.
Il fait son sac en quelques minutes, dit au revoir à sa sœur et quitte la ville. Il rejoint un territoire contrôlé par une faction ethnique rebelle.
Plusieurs de ces guérillas dans le nord et l’est du pays ont repris les armes contre la junte, ulcérées par le bain de sang des forces de sécurité qui ont tué plus de 860 civils depuis le 1er février. Certaines recueillent même des opposants qui ont fui les grandes villes et les entraînent au combat.
Au bout de quelques semaines, Ko Thein quitte la jungle. Il se cache depuis dans un lieu tenu secret, d’où il met en relation des activistes et le gouvernement civil fantôme, formé dans la clandestinité pour tenter de renverser la junte.
« C’est un cauchemar (mais) je n’ai aucun regret. C’est notre devoir de citoyen » de lutter contre la dictature.
– Le médecin –
Ko Ko, dont le nom a également été changé, n’imaginait pas non plus devenir un fugitif.
Médecin dans un hôpital public, il travaille dans un service dédié aux malades du Covid-19 quand le coup d’État éclate.
Rapidement, il rejoint la campagne de désobéissance civile, très suivie par le personnel médical, se met en grève et forme des jeunes pour leur apprendre à dispenser les premiers soins aux manifestants blessés par les forces de sécurité.
Mais les arrestations massives de professionnels de santé l’alarment.
« Je me disais: +S’ils me trouvent, que vont-ils faire à ma famille?+ ».
Deux jours après la Journée des forces armées – la plus meurtrière avec plus de 100 civils tués – il quitte sa femme et ses parents et rejoint un territoire rebelle près de la frontière thaïlandaise.
Depuis, il est toujours sur le qui-vive, change fréquemment de téléphone et s’est créé un faux compte Facebook, sans activité répréhensible, au cas où il se ferait arrêter.
Ko Ko, 30 ans, participe à la mise en place d’un hôpital de fortune. Il dispense aussi des consultations en ligne pour les opposants blessés, trop effrayés pour se faire soigner dans les hôpitaux.
« Tout me manque: mon travail, les fêtes, les amis, la famille ».
Mais, « pour l’avenir de la prochaine génération, nous ne pouvons pas laisser tomber ».
Le médecin est prêt à se battre « des mois, voire des années ». Sa crainte: que le pays, qui a déjà vécu des décennies sous le joug des militaires, commence à se réhabituer à la dictature.
– L’activiste –
Fille de militaire, Thinzar Shunlei Yi, 29 ans, est une militante de longue date, qui s’est battue depuis l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi en 2016 pour les droits de la jeunesse et des minorités.
Devoir lutter un jour dans la clandestinité « est quelque chose à laquelle je m’attendais » vu mon passé d’activiste, dit-elle.
Thinzar Shunlei Yi fait partie des premières à avoir appelé à la désobéissance civile.
Rapidement, elle se retrouve sur la liste noire des militaires et décide d’entrer en clandestinité.
Même pour cette militante chevronnée, la vie en cavale est épuisante. « Tous les endroits peuvent devenir des pièges », explique la jeune femme qui vit avec la peur constante d’être suivie ou dénoncée.
Mais « nous devons continuer à avancer, quoi qu’il arrive (…) tant de personnes ont sacrifié leur vie. Je ne m’attendais pas à un tel soulèvement » populaire contre la junte.
Par Dene-Hern Chen – Agence France Presse – 17 juin 2021
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