Croissance vietnamienne en baisse, les clés pour comprendre
Notre ami et chroniqueur Marc Mangin nous adresse du Vietnam une contribution à lire attentivement. Il décortique les raisons du ralentissement de l’économie nationale post-pandémie.
Le ministère vietnamien du Plan et de l’Investissement continue de revoir à la baisse les perspectives de croissance pour 2021. Début octobre, il rognait un demi-point sur le Pib qui devrait progresser de 3 à 3,5%. Mais l’année n’est pas terminée et le Vietnam est loin d’avoir fait les comptes de ce que sa gestion de l’épisode Covid va lui coûter. En tout cas, il faut oublier les 4,8% dont parlait encore, en septembre, la Banque mondiale. Pour les neuf premiers mois de l’année, l’indicateur n’a progressé que d’un maigre 1,42%, contre plus de 2% durant la même période de l’année précédente. Pour le seul troisième trimestre, il s’est contracté de plus de 6% ; « La pire performance en 35 ans », titrait la revue Capital !
Une année catastrophique
2021 ayant été une année catastrophique en raison de l’arrêt de l’activité, on ne voit pas comment le Vietnam pourrait faire mieux que les 2,9% enregistrés en 2020 année où le pays avait fait figure de bon élève dans la situation sanitaire mondiale. Pour atteindre les 3%, il faudrait que l’économie rebondisse de 8% au dernier trimestre. Dans le contexte actuel et même en tenant compte d’une réouverture partielle des frontières aux touristes étrangers, la barre est très haute. Dans sa boule de cristal, la Banque asiatique de développement voit poindre une reprise en 2022, avec un Pib en hausse de 6,5% lié à la vaccination de 70% de la population. Incorrigible optimisme des technocrates !
Explosion des contaminations
L’explosion des contaminations au Covid en 2021, a mis à l’arrêt plus de 90 000 entreprises, déclarait mi-septembre le président Nguyen Xuan Phuc – dont 16 000 à Saïgon (17%), le principal bassin d’emploi. L’économie de la capitale sudiste a littéralement plongé au troisième trimestre (-24,4%) ; sur les neuf mois de l’année, sa croissance affiche -5%. Les défaillances d’entreprises ont atteint le record de 24 000 au troisième trimestre, estimation conservatrice de Chu Tien Dung, le président de la HCMC Union of Business Association. Humainement le bilan n’est guère plus reluisant : Dung assure que le secteur de la maroquinerie a débauché 62% de ses employés, le textile 42%, l’hôtellerie 37% et la restauration 38% ! Au total, il estime les pertes d’emplois à 30% du total et relève au passage que des milliers de travailleurs migrants sont repartis dans leur province avec la ferme intention d’y rester. Ces chiffres constituent au mieux la partie visible de l’iceberg. Au Vietnam, l’emploi dans les secteurs de l’économie formelle concerne moins du quart de la population, si l’on en croit un document du Trésor français datant d’octobre 2019. Selon cette étude 78,6% de la population active relèvent d’un secteur informel.
Encore trop tôt
Il est encore trop tôt pour mesurer à quel point l’économie vietnamienne a été dévastée. L’ampleur des dégâts sa s’étaler sur les mois et peut-être même les années à venir. Dans un éditorial alarmiste publié mi-octobre à Paris par La Tribune, Sébastien Breteau, écrit : « les acteurs mondiaux du textile fuient le Vietnam ». Breteau, qui dirige la Qima (société de contrôle basée à Hong Kong), affirme que « 20 % des entreprises internationales du textile ont quitté le Vietnam ». Les demandes de contrôle qualité au Vietnam ont enregistré une chute de 40 % entre le deuxième et le troisième trimestre, dit-il encore.
Un renversement de la courbe de la pauvreté qui, depuis trente ans, était orientée à la baisse paraît inévitable. De 75% de la population dans les années quatre-vingt, le nombre de pauvres était tombé sous le seuil des 10% en 2018. À titre de comparaison,entre 2000 et 2018, le nombre de pauvres en France a augmenté de 50% pour atteindre 15% de la population ; l’année dernière, leur nombre a pulvérisé la barre du million et ne cesse de croître.
Le défi de l’économie informelle
Finalement, le défi que les autorités d’Hanoï auront à relever sera moins celui du redressement de l’économie formelle, que celle de l’économie informelle dont dépend 80% de la population. Elles ont le choix entre maintenir un cap libéral guidé par la « croissance » ou revenir, ne serait-ce qu’un temps, aux fondamentaux d’une économie « centralisée ». Les choix liés à la première option risquent d’enfoncer durablement une partie de la population dans la pauvreté ; ceux liés à la seconde vont ralentir la modernisation initiée grâce aux succès économiques des dernières décennies. Logiquement et si le Parti communiste vietnamien a conservé un fond de marxisme – l’intégration de l’économie informelle doit donner le tempo à la politique de développement, elle est même la base de toute politique de développement –, la seconde hypothèse devrait l’emporter : l’État ne peut pas, sans risquer de créer un pays « bipolaire », avançant à deux vitesses, se priver trop longtemps des revenus qui lui échappent de ce côté-là.
Les enjeux sont trop importants pour qu’Hanoï réponde favorablement aux touristes Occidentaux, impatients de pouvoir de nouveau consommer le Vietnam, comme ils le faisaient jusqu’en mars 2019. La réouverture du pays, annoncée pour le premier semestre 2022, ne signifiera probablement pas un retour au monde d’avant-Covid où, en définitive, le Vietnam pouvait apparaître pour une terre d’aventure et de liberté. Après le chaos de 2021, il faut s’attendre – comme ailleurs – à une reprise en main de fer, sur les populations – locales et « invités » – et leurs déplacements. Le Vietnam y perdra sûrement de son charme, mais la priorité sera de s’assurer un avenir dépendant, plus que jamais, de son intégration à une région à la fois son principal fournisseur, le premier employeur de sa main d’œuvre émigrée et qui forme son plus gros contingent de touristes.
Par Marc Mangin – Gavroche-thailande.com – 21 octobre 2021
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