La croissance à « marche forcée » de l’économie vietnamienne est-elle encore viable après le Covid ?
Rien de tel que le regard d’un fin connaisseur de la région pour nous alerter sur les dessous de l’actualité, politique ou économique. Notre ami et collaborateur Marc Mangin a les yeux rivés sur l’état de l’économie vietnamienne. Pour lui, la page du Covid ne pourra pas être tournée sans une réflexion plus fondamentale.
C’est un fait nouveau : le Vietnam enregistrera, cette année, un déficit de sa balance commerciale. Léger certes, mais le pays avait, depuis dix ans, réussi à dégager un excédent. Pour 2021, il manquera au Vietnnam un peu plus de 2 Mds USD pour arriver à l’équilibre, contre un surplus de 8 Mds USD en 2019 et 2020 (chiffres Banque mondiale ; 6 et 17 Mds USD respectivement de source vietnamienne). Les défaillances d’entreprises, elles, restent élevées : plus de 90 000 cette année contre près de 115 000 l’année dernière. Conséquence directe : Hanoï annonce la perte de 1,8 million d’emplois ; un taux de chômage en très forte hausse : près de 4% cette année contre 2,7% en fin d’année dernière ; et un revenu mensuel moyen à son plus bas depuis dix ans : 5,2 millions VND (un peu moins de 200 €).
Pas de poussée inflationniste
La déstabilisation de l’économie ne se traduit bizarrement pas par une poussée inflationniste et les autorités espèrent même la contenir à 4 % (+3,23 % en 2020, autour de 3,5 % en 2017 et 2018). Pourtant, les produits de première nécessité flambent : sur les marchés de Saïgon ils enregistrent des augmentations allant de 10 à 30 %. Il s’agit d’une moyenne : la bouteille de gaz est passée de 340 000 à 500 000 VND (+47 %) et l’huile végétale de 14 000 à 32 000 VND (+128 %) – ce sont une fois encore les plus pauvres que la gestion économique de cette « crise » écrase.
Il est donc compréhensible que le pays s’oriente rapidement vers une réouverture
rapide de ses frontières. Les autorités de l’aviation civile viennent de recommander au gouvernement la réouverture avant la fin de l’année des liaisons aériennes vers dizaine de pays (Japon, Corée, Taïwan, Singapour, Thaïlande, Malaisie, France, Allemagne, Russie et Australie) et, dès janvier 2022, d’élargir la mesure à quatre autres pays (Cambodge, Chine, Hong Kong, Laos et Royaume uni).
Taux de change favorable
Un taux de change favorable (26 000 VND pour un euro, alors qu’avant la fermeture des frontières, le dong s’était apprécié sous la barre des 25 000 contre un euro) encourage même les autorités à lever certaines contraintes à l’entrée des touristes quand bien même si le dynamisme de ce secteur – considéré, depuis 2011, comme l’un des moteurs d’une croissance à marche forcée –, n’est pas sans soulever des critiques au sein d’une population qui assiste, impuissante à la dégradation de son environnement.
En 2019, le pays accueillait ainsi 18,5 millions de visiteurs (80 % en provenance de la Chine, de la Corée, du Japon et de Taïwan) contre moins de 8 millions cinq ans plus tôt. En 2020, ils n’étaient plus que 2 millions. Certes, les étrangers sont très loin de constituer le gros du bataillon, il n’empêche. S’ils ne représentent que 9 % de l’occupation hôtelière et 32 % des clients des agences de voyage, leurs dépenses sont sans commune mesure : environ 650 USD contre à peine 60 USD pour les locaux ! En 2019, les touristes internationaux ont contribué à hauteur de 12 Mds USD à l’économie locale contre 9,6 Mds USD pour les Vietnamiens. C’est de l’argent facile et la demande est forte.
Le tourisme en chute libre
Les recettes de l’industrie touristique vietnamienne – qui n’étaient pas loin d’entrer à hauteur de 10 % dans la composition du PIB, avant la pandémie – ont enregistré une chute de 53 % en 2020 et, selon les projections de McKinsey, ne devraient pas revenir à leur niveau de 2019 avant 2024. Pragmatisme oblige, priorité sera donnée aux contingents les plus importants qui sont également les plus dépensiers : les Chinois (5,8 millions) et Coréens (4,3 millions) se sont délestés de 4 Mds USD chacun en 2019 ; ils arrivent loin devant les Japonais, les Taïwanais et les Américains qui, les uns comme les autres, n’apportent pas même un milliard USD. Viennent ensuite les Russes, les Malaisiens et Thaïlandais à l’apport marginal. Reste à savoir si les Occidentaux, accepteront facilement la condition posée par les autorités pour entrer au Vietnam : voyager en groupes dans des zones déterminées, comme au bon vieux temps du communisme triomphant ?
Par Marc Mangin – Gavroche-thailande.com – 8 novembre 2021
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