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La microfinance au Cambodge, un piège ou un outil de développement ?

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Le secteur bancaire et de la microfinance connaît un essor remarquable, avec l’augmentation des prêts malgré la crise COVId . Les prêts peuvent s’avérer être une bonne solution pour ceux qui manquent de capitaux pour développer leur entreprise. Cependant, leur mauvaise utilisation peut aussi créer un surendettement et même conduire à la perte de biens personnels.

Des études préliminaires, un plan précis et des idées innovantes  sont quelques-uns des éléments qui permettront aux entreprises de se développer.

Lon Savuth est un maraîcher de la province de Siem Reap. Il possède quatre serres où il cultive des légumes et développe une stratégie commerciale différente de celle des autres agriculteurs de son village, qui continuent à utiliser des techniques traditionnelles.

Avec une vision à long terme, Savuth a contracté des prêts auprès d’une banque pour développer son idée d’entreprise. Il déclare :

Sans ces prêts, il aurait été impossible de faire vivre notre famille car mes trois enfants étudient à l’université. Il est donc difficile pour nous de gagner suffisamment d’argent pour poursuivre l’éducation de nos enfants 

En 2017, l’ACLEDA Bank a accordé à Savuth un prêt de 15 000 dollars pour qu’il puisse agrandir sa ferme maraîchère. À l’époque, l’agriculteur de 59 ans était convaincu que ce capital pouvait augmenter le revenu de sa famille. Et il savait déjà comment.

Il a utilisé l’argent pour combler le terrain situé à côté de sa maison, puis a construit des serres, sur ce qui était auparavant un champ ordinaire, pour y cultiver des légumes.

“Nous avions l’habitude de cultiver des légumes, comme des choux, des salades ou des brocolis, mais à petite échelle. Mais quand la saison des pluies arrivait, nous ne pouvions plus rien cultiver [parce que la pluie détruisait nos récoltes] et nous n’avions plus d’argent”, explique Savuth. “Mais les serres protègent désormais nos cultures des fortes pluies, ce qui nous permet de planter et de récolter tout au long de l’année.”

En ayant un plan clair en tête et en s’engageant à développer une entreprise dans laquelle il croyait fermement, Lon Savuth a réussi comme il s’y attendait.

Peu de temps après avoir construit ses serres , son entreprise a rapporté suffisamment pour pouvoir rembourser 300 dollars par mois. Néanmoins, Lon Savuth sait d’expérience que les prêts peuvent également entraîner des difficultés financières. “Par le passé, nous avons emprunté une petite somme d’argent pour les études de nos enfants et nous y avons perdu quelques propriétés. En effet nous ne gagnions pas assez d’argent pour rembourser notre créancier. Nous avons donc pensé qu’il serait plus judicieux d’emprunter une somme d’argent importante pour investir dans quelque chose de rentable“, dit-il, ajoutant qu’il conseille aux gens de ne pas contracter de prêts sans projet d’entreprise, sous peine de se retrouver à court d’argent et de voir leurs biens saisis par le prêteur.

Le crédit , une possibilité pour se “refaire”

Heng Chakriya, est certainement d’accord avec lui. Elle a tout perdu en 2015 lorsqu’une explosion de gaz dans son quartier a mis le feu à sa maison et à son magasin de téléphonie. Elle a été anéantie et déprimée pendant deux ans.

“Mais un jour, lors d’un atelier commercial auquel j’ai participé, ils ont dit qu’un billet de 1 dollar restait un billet de 1 dollar, même après que nous l’ayons piétiné sur le sol. Nous pouvons toujours acheter une tasse de café avec ce billet de 1 dollar”, se souvient-elle.

J’ai compris que même si j’ai tout perdu, j’avais en moi des connaissances qui attendaient d’être utilisées à nouveau.

À la suite de cet atelier, cette femme de 38 ans, qui était autrefois enseignante, a décidé de se relever. Sa famille a contracté un prêt de 20 000 dollars auprès d’une banque pour reconstruire sa maison et créer une entreprise de smoothie au Phsar Chas, dans le centre de Phnom Penh.

Bien qu’il s’agisse d’une petite entreprise, ses smoothies ont rapidement acquis une certaine renommée et Chakriya a commencé à ouvrir des points de vente dans plusieurs endroits. Avec une telle croissance, la banque a pris confiance dans ses compétences commerciales et a fini par lui accorder un prêt supplémentaire de 50 000 dollars.

“Les prêts bancaires ont été très importants pour moi. Sans eux, je ne sais pas quel argent j’aurais pu utiliser pour lancer une entreprise“, dit-elle. “Mais vous devez être sûr que vous serez en mesure de rembourser plus de 300 dollars [par mois] si vous prenez un prêt de 20 000 dollars. À l’époque, j’étais sûre d’en être capable.”

Sept ans après avoir tout perdu, Chakriya s’est enfin remise sur pied et a créé diverses entreprises allant de la vente de riz naturel local, au sucre de palme, et à de nombreux autres produits transformés qui, à la fin du mois, assurent un bon revenu à la famille de cette entrepreneuse.

La peau hâlée et le sourire aux lèvres, Chakriya affirme que la croissance actuelle de son entreprise n’aurait pas été possible sans l’aide de ces prêts. “Tout ce qui s’est développé dans cette entreprise l’a été grâce aux prêts bancaires”, dit-elle.

Quand un prêt conduit à une accumulation de dettes

Malheureusement, tous les prêts ne débouchent pas sur de telles réussites. En juin 2021, Equitable Cambodia et LICADHO, deux ONG locales, ont publié un rapport intitulé “Right to Relief : Indebted Land Communities Speak Out”- sur la dette au Cambodge. Il montre le cas de 14 familles impliquées dans des litiges fonciers qui sont en fait confrontées au surendettement, notamment à cause des microcrédits.

Selon le rapport, ces familles ont contracté des prêts pour payer leurs factures médicales, l’éducation de leurs enfants ou pour assurer leur subsistance quotidienne. Elles n’ont pas accès à des services publics adéquats tels que les soins de santé et l’éducation, qui devraient être l’une des priorités du gouvernement.

Interrogé, le vice-président de la LICADHO, Am Sam Ath, a déclaré qu’en 2021, la dette moyenne des ménages par habitant était de plus de 4 000 dollars, soit deux fois plus que le revenu annuel, qui s’élève à environ 2 000 dollars en moyenne.

Pour les milieux fragiles, des dettes importantes peuvent conduire à la vente de terrains, de maisons et d’autres biens pour rembourser les dettes bancaires ou de microfinance, a-t-il ajouté.

Sam Ath a ajouté que le problème de la dette entraîne une augmentation de la migration illégale, une réduction du régime alimentaire et une augmentation du taux de déscolarisation des jeunes, qui doivent trouver un emploi pour rembourser leurs dettes.

Les groupes de la société civile estiment que les dettes écrasantes sont dues à une mauvaise utilisation des prêts : Au lieu d’utiliser l’argent pour créer des petites ou moyennes entreprises, les gens ont tendance à le dépenser pour se loger, acheter des terrains, des motos ou se soigner. Toutes ces raisons sont contraires aux politiques de microfinance, qui stipulent que les prêts sont destinés à améliorer les conditions de vie des gens.

A qui la faute ? Aux prêteurs ou aux emprunteurs ?

Alors, à qui la faute ? aux prêteurs ou aux emprunteurs ? Sam Ath explique : “De mon point de vue, les deux parties sont en faute, mais la faute la plus grave vient du manque d’éthique professionnelle de certains agents de crédit.”

“Nous savons que dans les principes de la microfinance, les prêts sont destinés à développer les affaires et les revenus, afin que les emprunteurs puissent rembourser et avoir une vie prospère. Mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, en ce qui concerne l’agriculture, les parties contractantes doivent être formées [car elles peuvent être sans instruction] : Les agriculteurs doivent comprendre qu’après le rendement, ils ne pourront peut-être pas vendre toutes leurs récoltes si la demande est insuffisante. Par conséquent, cela affectera leurs revenus et le processus de remboursement”, explique Sam Ath. “Malheureusement, certains agents de crédit ne dispensent pas [cette formation]”.

Le président de l’Association des banques du Cambodge (ABC), In Channy, a démenti les allégations selon lesquelles les banques accordent aux gens des prêts non rentables qui les endettent gravement.

Il explique que toutes les banques forment leur personnel à fournir de bons services et à sélectionner correctement les clients, et non à les choisir de manière irréfléchie. Il ajoute que les banques ne veulent pas voir leurs clients échouer car leur croissance, ainsi que celle des institutions de microfinance, est liée à celle de leurs clients.

S’opposant à la perception des prêts comme une dette, le président de l’ABC a déclaré que le secteur bancaire contribue de manière significative au développement de l’économie nationale, ajoutant que les prêts ont contribué au développement d’infrastructures à travers le pays, qui aident à améliorer la vie des gens.

Selon le rapport annuel 2021 de la Banque nationale du Cambodge, le total des prêts dans le Royaume s’élevait à 45,3 milliards de dollars à la fin de l’année dernière, dont 36,8 milliards de dollars prêtés par les banques et 8,5 milliards de dollars par les institutions de microfinance. En 12 mois, le total des prêts a augmenté de 21,2%.

Channy a ajouté que le secteur bancaire a contribué à aider les gens, notamment pendant la crise du COVID-19, une partie des prêts étant réservée aux personnes les plus vulnérables.

En outre, la manière de rembourser dépend de la politique interne de chaque banque. “Les banques ne forcent pas les clients à payer, mais elles jugent de la possibilité réelle de remboursement, y compris son retard possible. En 2021, le total des arriérés était de 2,5 %, y compris ceux qui sont consentis et ceux qui sont incapables de payer”, a déclaré Channy.

Am Sam Ath de la LICADHO n’a pas nié  l’impact des prêts bancaires ou de microfinance sur la croissance socio-économique. Il souhaite simplement que les banques et la microfinance renforcent leurs politiques de prêt ou leur éthique dans le processus de prêt, car certaines personnes peuvent être lourdement affectées par la mauvaise utilisation des prêts.

Malgré le ralentissement économique causé par le COVID-19, le secteur bancaire cambodgien continue de se développer. Selon la Banque nationale du Cambodge, le royaume comptait 12,1 millions de comptes de dépôt et 3,3 millions de comptes de crédit à la fin de l’année dernière. Une augmentation de 36 % et de 3,1 % respectivement par rapport à 2020.

Par Isa Rohany Cambodianess / Lepetitjournal.com – 2 avril 2022

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