Madame Nhu, vénéneuse Première dame du Sud-Vietnam dans les années 1960
JFK la détestait, Jackie considérait que son nom était une insulte, Lyndon Johnson aimait flirter avec elle et Ian Fleming disait qu’elle était aussi « innocente qu’un cobra ».
Avec ses ongles rouges, ses robes moulantes, son sourire de Cruella, Madame Nhu, impératrice secrète du Vietnam dans les sixties, était l’incarnation parfaite de la dominatrice sexy. Arrogante, provocante, elle se fit toute petite après l’assassinat de son mari (par la CIA) en 1963, et plongea dans l’obscurité, après avoir fait la une de tous les journaux de la planète, super-star de la dictature. Qu’était-elle devenue ? Monique Brinson Demery, spécialisée dans les « East Asia Regional Studies » à Harvard, l’a retrouvée à Paris en 2005, 24 avenue Suffren et l’a confessée : fascinante histoire, celle d’une femme dangereuse, folle de pouvoir, racontée dans « Finding the Dragon Lady, The Mystery of Vietnam’s Madame Nhu », publié en 2013. A côté d’elle, Lucrèce Borgia était une oiselle blanche et Salomé une sœur de vertu.
Madame Nhu a eu son quart d’heure d’ultra-célébrité lors de l’immolation des moines bouddhistes par le feu, à Saïgon. Devant ces images de corps brûlés, immobiles sous la morsure de la flamme, le président Kennedy eut un malaise, à la Maison-Blanche. Madame Nhu, sur place, se contenta de dire : « Si les bouddhistes veulent faire d’autres barbecues, je serais heureuse de fournir l’essence et l’allumette ». Il est vrai qu’elle avait du bagage, madame Nhu ; son père et sa mère, ambassadeurs aux USA, avaient été assassinés à Washington par leur fils, Tran Van Khiem (lequel échoua à Poulo Condor, le goulag du Sud-Vietnam). La maman, cependant, était célèbre en Indochine pour ses « coucheries utilitaires » et ses amants, parmi lesquels l’envoyé spécial de l’Empire du Japon et un jeune homme de bonne famille, Ngo Dinh Nhu, qui avait étudié la paléographie (et qui était catholique dans un pays qui ne l’était pas). Son frère se nommait Ngo Dinh Diem et allait devenir le président du Sud-Vietnam. Nhu s’auto-bombarda chef des milices, de la police secrète et des black ops. Il commença par torturer et exécuter 50 000 suspects communistes, juste pour la mise en train.
« Elle estima que le Vietnam était “le Christ des Nations” »
Le pays convenait parfaitement à Le Xuan, la future madame Nhu : la corruption était endémique, l’administration était en désarroi, les truands géraient Saïgon, le marché noir dominait, et les principaux atouts économiques étaient la drogue, le jeu, la prostitution. Un casino-bordel comme Le Grand Monde faisait rentrer 10 000 dollars par jour (grosse somme à l’époque), avec ses 300 prostituées et ses pipes à opium. Il fallait mettre de l’ordre dans ce chaos. Le président en titre, Diem, était puritain, désordonné, mou et « trop libéral ». Madame Nhu le gifla en public. Et prit les choses en main : elle fit interdire la polygamie, le jeu, la prostitution, les concours de beauté, les dancings, les soutiens-gorge à armature et le twist. Elle fit savoir que le « New York Times » était un journal qui faisait partie d’une « conspiration communiste internationale ». Elle estima que le Vietnam était « le Christ des Nations ». Le 7 mars 1963, quand le premier moine, Thich Quand Duc, s’immola, elle accorda une interview pour dire que « les bouddhistes sont exploités et contrôlés par les communistes ». Elle applaudit à chaque mort : dans les semaines suivantes, cet été-là, six autres bouddhistes, dont une nonne et un étudiant, périrent de la même manière. Devenue, grâce à son mari, première dame du pays, elle fit fermer des dizaines de pagodes. La haine de la population était alors palpable. Quand Ngo Dinh Diem et Ngo Dinh Nhu furent exécutés en sortant de l’église Saint-François- Xavier, Madame Nhu asséna : « Je crois que tous les démons de l’enfer sont contre nous, mais à la fin nous triompherons car le diable est de notre côté ». Elle ajouta, fielleuse :« Quiconque a les Américains pour alliés n’a pas besoin d’ennemis ».
Lors de ses entretiens avec Monique Demery, madame Nhu, âgée, se révèle, au fil des pages : elle est menteuse, manipulatrice, contradictoire, sûre de son bon droit. Elle finira sa vie à Rome (en 2011), protégée par son beau-frère, l’archevêque Ngo Dinh Thuc. Qui avait été excommunié pour avoir ordonné de son propre chef des évêques sans demander l’avis du Vatican. Une dernière petite curiosité : à sa dernière visite aux USA, le 23 octobre 1963, Madame Nhu a participé à la célébration de l’US Day, au Dallas Memorial Auditorium, et a fait un petit discours. Parmi les spectateurs, un homme discret, silencieux. Son nom : Lee Harvey Oswald.
Finding the Dragon Lady. The Mystery of Vetnam’s Madame Nhu, Monique Brinson Demery, Public Affairs, 2013.
Par François Forestier – NouvelObs.com – 15 avril 2022
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