Le dur combat des apatrides des tribus montagnardes pour obtenir la citoyenneté thaïlandaise
La Thaïlande compte de nombreux apatrides non recensés issus des tribus montagnardes, une population qui se retrouve sans statut légal et souffre du manque de droits.
Heureusement, des bénévoles aident les apatrides des villages de minorités ethniques à s’orienter dans la procédure complexe de demande de nationalité en Thaïlande.
Niché dans des montagnes verdoyantes à une soixantaine de kilomètres de Chiang Mai, la ville animée du nord de la Thaïlande, se trouve un village de tribus montagnardes Akha et Lisu où Meepia Chumee a vécu dans un état constant d’incertitude pendant plus de 30 ans.
Née d’une mère de nationalité thaïlandaise et d’un père apatride, elle a été abandonnée lorsqu’elle était bébé et sa naissance n’a jamais été enregistrée, ce qui fait qu’elle n’a aucun statut légal dans le pays où elle est née.
Elle a été élevée par sa grand-mère et son oncle, qui étaient également apatrides.
La Thaïlande compte plus d’un demi-million d’apatrides recensés, soit l’une des populations les plus importantes au monde.
Près d’un quart d’entre eux vivent à Chiang Mai.
Ils appartiennent pour la plupart à des minorités ethniques indigènes des zones frontalières montagneuses.
Le fait d’être enregistrés leur donne un certain accès à l’éducation, au travail et aux soins de santé, bien que leur capacité à voyager entre les provinces soit limitée.
Cependant, il existe un nombre inconnu d’apatrides, comme Meepia, qui ne sont pas enregistrés et doivent faire face à des difficultés supplémentaires pour accéder à leurs droits fondamentaux à l’éducation, au travail et aux soins de santé.
Meepia a été contrainte de quitter l’école après le CE1 et n’a pu trouver qu’un travail agricole pour lequel elle recevait tout au plus 100 bahts (2,69 euros) par jour.
Elle était terrifiée à l’idée de s’aventurer hors de son village après avoir été arrêtée à un poste de contrôle de la police et avoir reçu une amende pour ne pas avoir de pièce d’identité.
Lorsque son mari, lui aussi apatride, a réussi à obtenir la citoyenneté, leurs enfants ont pu réclamer la nationalité de leur père, mais pas Meepia.
« C’était extrêmement difficile », soupire-t-elle.
« Parfois, je me sentais découragée et je me demandais pourquoi je n’avais pas les mêmes choses que les autres ».
Meepia, 34 ans, a finalement reçu sa nationalité thaïlandaise après une procédure complexe de quatre ans.
La Thaïlande a souscrit à la campagne #IBelong de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, visant à mettre fin à l’apatridie d’ici 2024 et a progressivement réformé ses lois sur la nationalité et l’enregistrement des faits d’état-civil afin de permettre aux gens de revendiquer plus facilement leur citoyenneté et leurs droits.
Plus de 100 000 apatrides ont acquis la nationalité thaïlandaise depuis 2008.
Cependant, dans la pratique, les procédures sont souvent difficiles d’accès, bureaucratiques et complexes.
Lorsque Meepia avait 30 ans, par un coup de chance, une personne de son village a rencontré sa mère dans la province voisine de Chiang Rai.
Sans hésiter, Meepia a saisi l’occasion d’entamer les démarches pour obtenir la nationalité.
Elle a pris son courage à deux mains pour contacter sa mère et lui demander de faire le test ADN qui prouverait leur relation.
Elle a ensuite rassemblé tous les documents dont elle disposait et s’est rendue au bureau de district situé à 17 kilomètres de là, un risque important pour une apatride non enregistrée.
Mais après trois ans d’attente, sa demande n’a pas été acceptée et on lui a dit de recommencer la procédure dans la province de sa mère, à des centaines de kilomètres de là.
L’histoire de Meepia a fait le tour de son village et est parvenue aux oreilles de Meefah Ahsong, une bénévole travaillant pour Legal Community Network (LCN) et Legal Advocacy Walk (LAW), deux ONG locales qui travaillent aux côtés du HCR pour aider les personnes à s’orienter dans le processus de demande de statut juridique et de nationalité.
« Je suis analphabète.
J’en savais assez pour comprendre ce qu’étaient certains documents, mais je ne les comprenais pas vraiment à 100 % », raconte Meepia.
« Meefah m’a appelé et m’a dit que son organisation pouvait m’aider ».
Meefah avait elle-même été apatride et connaissait parfaitement les difficultés auxquelles Meepia était confrontée.
Elle fait partie des 20 à 30 volontaires communautaires des villages ethniques de cinq districts de Chiang Mai qui sont les héros méconnus de la lutte contre l’apatridie en Thaïlande.
Tous anciennement apatrides eux-mêmes, ils sont nommés par d’autres villageois et ensuite formés par LCN et LAW sur les lois de la nationalité, comment collecter des informations, et comment travailler avec les fonctionnaires du gouvernement dans les bureaux de district.
Meefah a aidé Meepia à remplir ses papiers et l’a accompagnée au même bureau de district, mais cette fois avec du renfort.
« Meefah m’a dit d’amener ma mère, alors je l’ai appelée pour qu’elle vienne », se souvient Meepia.
« Le jour J, Meefah a amené l’ancien de mon village, d’autres bénévoles de l’ONG et même des fonctionnaires du département de l’administration provinciale, et j’ai pu être enregistrée dans le système. »
Meepia a finalement acquis sa nationalité thaïlandaise en août de cette année, à l’âge de 34 ans.
Meefah décrit le fait d’aider d’autres personnes de sa communauté à obtenir la citoyenneté comme « une bénédiction ».
» Je suis heureuse qu’ils aient une nouvelle vie, qu’ils aient un meilleur travail et qu’ils aient accès à une couverture médicale « , dit-elle.
« Je veux que les villageois apatrides soient plus conscients des droits auxquels ils peuvent prétendre ».
Quant à Meepia, elle espère que sa citoyenneté durement acquise lui ouvrira la porte à des opportunités d’emploi dans les nombreux hôtels de villégiature de la région, qui ne l’embauchaient pas auparavant sans pièce d’identité.
Elle affirme également que son statut officiel lui a donné une nouvelle confiance en elle.
« Le jour où j’ai tenu la carte d’identité thaïlandaise dans ma main, j’ai ressenti du bonheur et un énorme soulagement.
Même si je n’ai pas d’argent comme les autres, j’ai maintenant les mêmes droits qu’eux.
Je n’ai plus à vivre dans la peur. »
Par Apipar Norapoompipat – UNHCH / Toutelathailande.fr – 5 novembre 2022
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