Thaïlande : l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra est libre
Après son retour de quinze ans d’exil volontaire, M. Shinawatra, qui fut au pouvoir de 2001 à 2006, bénéficie d’une libération anticipée. Agé de 74 ans, il n’aura passé en tout que six mois en détention, en très grande partie dans un hôpital de la police.
L’exil, la détention, puis la liberté. L’ancien premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a retrouvé, dimanche 18 février au matin, son domicile à Bangkok, après avoir bénéficié d’une libération anticipée. Le milliardaire âgé de 74 ans, au pouvoir de 2001 jusqu’au coup d’Etat de 2006, a été aperçu à travers les vitres de sa voiture, portant une minerve et assis à côté de sa fille Paetongtarn, quittant l’hôpital de la police dans le centre de Bangkok. Une poignée de personnes protestant contre sa libération s’étaient rassemblées devant l’établissement.
Rentré d’exil le 22 août 2023 après quinze ans à l’étranger, Thaksin n’aura passé en tout que six mois en détention, en très grande partie dans un hôpital de la police, dans la capitale thaïlandaise, en raison de problèmes de santé. Il avait été admis à l’hôpital quelques heures seulement après son retour d’exil pour des problèmes d’oppression thoracique et d’hypertension, et sa famille a déclaré qu’il avait subi deux opérations les mois suivants. Samedi, le premier ministre, Srettha Thavisin, avait confirmé qu’il serait libéré dimanche.
Initialement condamné à huit ans de prison pour corruption et abus de pouvoir, l’ancien dirigeant a bénéficié en septembre d’une grâce du roi, Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun, qui a réduit sa peine à un an d’emprisonnement.
Un vieux lion de la politique thaïlandaise
Au début de février, les autorités ont annoncé que le détenu remplissait les conditions d’une liberté anticipée, de par son âge et son état de santé. Le cadre de la liberté conditionnelle de M. Shinawatra n’est pas encore connu, mais il pourrait avoir à porter un bracelet électronique ou à limiter ses voyages, selon un expert interrogé mardi par l’Agence France-Presse.
Dans un communiqué, le parti progressiste d’opposition Move Forward (MFP) s’est demandé s’il avait bénéficié d’un traitement spécial. « La Thaïlande a besoin d’un système démocratique dans lequel l’Etat de droit et le système judiciaire sont appliqués de la même manière pour tous, sans qu’il y ait deux poids, deux mesures (…) pour les personnes privilégiées », a déclaré le parti.
Très populaire au début des années 2000, surtout auprès des paysans du Nord et du Nord-Est, Thaksin Shinawatra est soupçonné d’avoir conclu un pacte avec ses anciens adversaires, la monarchie et l’armée, pour recouvrer la liberté. Ce vieux lion de la vie politique thaïlandaise garde une influence par le biais du parti familial, Pheu Thai, dirigé par Paetongtarn, pressentie pour poursuivre la dynastie Shinawatra. Elle pourrait devenir la troisième première ministre à porter ce nom, après Thaksin et Yingluck, sa tante (et sœur de Thaksin), qui a dirigé le royaume de 2011 à 2014, jusqu’à un coup d’Etat.
L’évocation de ce patronyme réveille de vieilles fractures en Thaïlande. Thaksin Shinawatra a été autant adulé par les campagnes, grâce à ses politiques pionnières de redistribution, que haï par les élites traditionnelles de Bangkok, qui le trouvaient populiste et insolent vis-à-vis du roi Bhumibol. S’il a été crédité d’une bonne gestion de l’économie, le dirigeant, qui a fait fortune dans les télécoms, a souvent été accusé de mélanger ses affaires privées avec celles de l’Etat, au point d’avoir été surnommé par certains « le Berlusconi d’Asie ».
Coalition gouvernementale
Les tensions ont culminé au moment des mouvements de protestation opposant ses soutiens, « les chemises rouges », et ses opposants attachés à la monarchie, « les chemises jaunes ». En 2010, l’armée avait ouvert le feu sur une manifestation de chemises rouges, tuant plus de 90 personnes.
Certains soutiens de longue date reprochent aujourd’hui à leur ancien champion d’avoir tendu la main aux militaires afin de favoriser son retour au pays après quinze ans d’exil volontaire pour échapper à la justice. En effet, Pheu Thai a accepté de former une coalition gouvernementale avec des formations proarmée qui n’auraient pas pu prétendre au pouvoir à la suite de leur large défaite aux élections de 2023.
Cet accord controversé a exclu le parti vainqueur du scrutin, les réformistes de Move Forward, devenus la principale force de contestation aux yeux des nouvelles générations, à la place des Shinawatra. Thaksin Shinawatra fait également l’objet d’accusations de lèse-majesté pour des propos tenus en 2015, mais la justice thaïlandaise n’a pas encore décidé des suites à donner à cette affaire.
Le Monde avec Agence France Presse – 18 février 2024
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