En Thaïlande, le principal opposant inéligible pour dix ans et son parti progressiste dissout
Après sa victoire historique avec son parti «Move Forward» aux législatives de mai 2023, Pita Limjaroenrat avait été accusé de vouloir déstabiliser la monarchie.
C’est un énième coup de boutoir contre l’opposition. Ce mercredi 7 août, la Cour constitutionnelle thaïlandaise a prononcé le bannissement pour dix ans de Pita Limjaroenrat, la personnalité politique la plus populaire du pays, ainsi que la dissolution de son parti prodémocratie Move Forward (MFP). A l’issue d’un vote adopté à l’unanimité, la Cour a décidé de «bannir les membres du comité exécutif qui ont exercé leurs fonctions du le 25 mars 2021 au le 31 janvier 2024», a déclaré le juge Punya Udchachon, lors de la lecture du verdict.
Au total, onze dirigeants sont concernés, dont Pita Limjaroenrat, qui perd son mandat de député, mais aussi l’actuel secrétaire général de Move Forward, Chaithawat Tulathon. Sans surprise, le camp prodémocrate a dénoncé la décision de la Cour, qui entretient selon lui la mainmise des élites militaires et économiques qui s’alignent sur le roi, au détriment de l’expression populaire.
Une réforme du crime de lèse-majesté
Vainqueurs des législatives en mai 2023, le parti progressiste Move Forward et ses dirigeants sont accusés de vouloir déstabiliser la monarchie. Ils se sont notamment prononcés en faveur d’une réforme du crime de lèse-majesté, qui sanctionne la critique du roi ou de sa famille jusqu’à quinze ans de prison. Une loi que le pouvoir a régulièrement instrumentalisée pour poursuivre ses adversaires politiques, affirme le camp prodémocratie.
Cette promesse de réforme – inédite en Thaïlande – a valu à Move Forward d’être poursuivi dans l’affaire qui a conduit à sa dissolution. Mais si le parti disparaît du paysage politique sous sa forme actuelle, ses membres ont promis de prendre le flambeau en vue des scrutins à venir. Ces dernières semaines, la presse locale a entretenu la rumeur de la création d’un nouveau parti que rallieraient les plus de 140 députés ex-MFP toujours autorisés à siéger. En 2020, la dissolution de Future Forward, l’ancêtre de Move Forward, avait déjà donné lieu à d’importantes manifestations, éteintes par la pandémie et la répression des autorités visant les principales figures du mouvement.
La Cour constitutionnelle devrait «défendre la démocratie»
Coqueluche des nouvelles générations, Pita Limjaroenrat avait lui tenté d’insuffler un vent de fraîcheur dans un royaume où la vie politique est dominée par des figures vieillissantes connectées à des familles puissantes ou à l’armée. Diplômé de Harvard et très actif sur les réseaux sociaux, le candidat avait donné son visage au programme de rupture de Move Forward, qui prévoyait une nouvelle Constitution, la baisse des dépenses militaires ou la fin de certains monopoles.
Mais malgré la victoire historique, Pita Limjaroenrat avait échoué à deux reprises à se faire élire Premier ministre en juillet 2023, et ce malgré sa victoire historique. D’abord parce qu’il n’avait pas obtenu suffisamment de voix au Parlement, composé d’une Chambre des représentants élue par le peuple et d’un Sénat dont les 250 membres sont nommés par l’armée. Puis en raison de l’invalidation de sa candidature par le président de cette même Chambre des représentants, qui avait invoqué un article réglementaire interdisant selon elle à un prétendant au poste de Premier ministre de concourir deux fois au cours de la même session parlementaire.
«En principe, la Cour constitutionnelle devrait être utilisée pour défendre la démocratie, et non pour rendre la Thaïlande moins démocratique», avait déclaré Pita Limjaroenrat avant l’annonce de la décision de son bannissement. «Lors des deux dernières décennies, 33 partis ont été dissous, dont quatre importants qui étaient élus par le peuple. Nous ne devrions pas normaliser ce modèle ou accepter l’utilisation d’un tribunal politisé pour détruire les partis politiques», avait-il ajouté. Ce mercredi, Pita Limjaroenrat et d’autres dirigeants doivent s’exprimer après 18 heures (11 heures GMT) devant la presse, au siège du parti, à Bangkok.
Libération avec Agence France Presse – 7 août 2024
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