Comment le système défaillant de la Thaïlande alimente la crise des inondations ?
Après les terribles inondations dans le nord, la Thaïlande est aux prises avec d’aussi terribles inondations dans le sud à cause d’un système défaillant.
Un article de Saowaruj Rattanakhamfu, docteur en philosophie et directeur de recherche et Nuthasid Rukkiatwong, chercheur principal à l’Institut thaïlandais de recherche sur le développement (TDRI).
En l’espace de quelques mois, des inondations ont dévasté le nord et le sud de la Thaïlande, révélant une vérité troublante :
Le système de réaction aux catastrophes du pays est défaillant, et le changement climatique ne fait qu’aggraver la situation.
La faiblesse de la gestion des catastrophes en Thaïlande, qu’il s’agisse d’alertes insuffisantes ou de sauvetages inadéquats, transforme les situations d’urgence en tragédies évitables.
Alors que le changement climatique aggrave les tempêtes et les inondations, les dégâts ne cesseront de croître si aucune mesure n’est prise dès maintenant pour remédier à ce système défaillant.
Les dangers sont réels.
Entre 2000 et 2019, la Thaïlande a été confrontée à 146 catastrophes naturelles, qui ont tué en moyenne 138 personnes par an et coûté 7,7 milliards de dollars, soit près de 1 % du PIB du pays.
Les inondations sont les plus destructrices.
En vingt ans, elles ont tué plus de 2 000 personnes et causé des dégâts d’une valeur totale de 59 milliards de dollars.
Les récentes inondations dans le nord du pays ont été les pires depuis 80 ans, causant des dégâts de l’ordre de 60 milliards de bahts et se classant parmi les 10 catastrophes les plus coûteuses de Thaïlande.
Un mois plus tard, le sud du pays a connu ses pires inondations depuis des décennies, provoquant le déplacement de milliers de personnes alors que les eaux continuaient à monter.
Ces catastrophes continuent de se produire parce que la Thaïlande ne dispose pas de mesures préventives efficaces pour empêcher les urgences météorologiques de se transformer en véritables crises.
Alors que le sud de la Thaïlande est confronté à des inondations catastrophiques, des questions se posent :
Pourquoi cela continue-t-il à se produire ?
Des problèmes profondément enracinés
Les problèmes d’inondation de la Thaïlande sont dus à trois facteurs principaux :
- Des politiques centralisées avec une mauvaise coordination sur le terrain ;
- Des systèmes d’alerte précoce obsolètes ;
- Un financement insuffisant avec des priorités mal placées.
La gestion de l’eau en Thaïlande est répartie entre 48 agences réparties dans 13 ministères, mais leurs rôles se chevauchent souvent.
Par exemple, le Comité national des ressources en eau et le Comité de prévention et d’atténuation des catastrophes s’occupent tous deux des inondations, mais ils travaillent rarement ensemble.
En l’absence d’un responsable clair, l’inefficacité règne pendant les crises.
Le système d’alerte thaïlandais n’est pas non plus fiable.
Il manque de données critiques sur la topographie et l’utilisation des sols, qui sont essentielles pour la prévention des inondations.
Près de la moitié des équipements de surveillance météorologique ne fonctionnent pas régulièrement et 96 % d’entre eux n’ont pas transmis les résultats des mesures météorologiques pendant au moins une journée.
Les prévisions d’inondation ne sont exactes qu’à 33 % un jour à l’avance, ce qui rend les communautés vulnérables et mal préparées.
Dans de nombreuses régions, les alertes ne parviennent pas aux habitants parce que le système d’alerte par SMS est sous-développé et que près de la moitié des équipements de communication ne fonctionnent pas.
L’investissement de l’État dans la réduction des risques est mal orienté.
Bien que les systèmes d’alerte précoce puissent rapporter neuf fois l’investissement, la majeure partie du budget de gestion des inondations pour 2023 a été consacrée à la construction de barrages et de systèmes de drainage.
Très peu de fonds ont été alloués à l’amélioration des systèmes d’alerte ou à l’utilisation des données pour prévenir les inondations.
Les leçons du Japon
Le Japon offre des solutions précieuses pour relever ces défis.
La gestion des catastrophes dans ce pays repose sur une prise de décision décentralisée, une collaboration entre les agences, des systèmes de données intégrés et un accent mis sur la prévention.
Les autorités locales gèrent les petites urgences, tandis que le gouvernement central s’occupe des crises nationales.
Tous deux travaillent dans le même cadre afin d’assurer une coordination harmonieuse.
Outre l’utilisation de technologies numériques de pointe, telles que les modèles de villes virtuelles, pour évaluer et prévoir les risques, le Japon dispose également de systèmes d’alerte précoce efficaces, tels que J-Alert, qui peuvent informer le public en quelques secondes par le biais de plusieurs canaux :
Haut-parleurs, télévision, radio, courrier électronique et téléphones portables.
Des alertes précoces complètes, en particulier lorsqu’elles sont émises au moins 24 heures à l’avance, peuvent réduire de 30 % les dommages causés par les catastrophes.
C’est un exemple clair de la façon dont les mesures proactives sauvent des vies et minimisent les pertes.
L’éducation du public à la préparation aux catastrophes est également une priorité au Japon.
Des exercices réguliers et des programmes scolaires, y compris des cours en ligne et des cours spéciaux pour les enfants, enseignent aux citoyens comment réagir en cas d’urgence, car la préparation sauve des vies.
La Thaïlande a son propre exemple de gestion efficace des inondations dans la ville de Hat Yai.
Autrefois point chaud des catastrophes, la ville subissait des inondations dévastatrices tous les dix ans.
Aujourd’hui, c’est une réussite, grâce à un mélange de science, de travail d’équipe et de préparation.
Une réussite locale
Le centre de recherche sur les catastrophes de Hat Yai, situé à l’université Prince of Songkla, utilise des modèles avancés pour évaluer les risques et prévoir les inondations.
Parallèlement, son groupe de travail sur la réponse aux catastrophes gère les alertes précoces, les plans de gestion des risques et la coordination avec les agences de l’État et les communautés locales.
Sous la responsabilité directe du gouverneur, le groupe de travail agit comme un système efficace d’aide à la décision, qui permet de réagir rapidement et avec précision aux risques d’inondation.
Cette approche collaborative, soutenue par des bénévoles engagés et un leadership fort, a permis de sauver des vies et de réduire les dommages.
Hat Yai prouve que la préparation est efficace.
Malgré son succès, le modèle de Hat Yai a ses limites.
Sans financement régulier à long terme, le centre de recherche est confronté à des équipements inadéquats et à des données obsolètes.
La rotation fréquente du personnel, due à des perspectives de carrière limitées, menace également la continuité du groupe de travail, tout comme le transfert régulier des gouverneurs.
L’extension de cette approche à l’ensemble du pays nécessitera davantage de ressources et un soutien à long terme de la part du gouvernement.
Rompre le cycle
Pour rompre le cycle des inondations catastrophiques, la Thaïlande doit passer de la réaction aux crises à leur prévention.
Cela implique d’améliorer la coordination entre les agences nationales et locales et de mettre un terme à l’utilisation non réglementée des terres dans les zones à haut risque, qui aggrave le problème.
Sur le modèle de Hat Yai, les régions sujettes aux inondations devraient collaborer avec les universités locales pour créer des centres de recherche sur les catastrophes.
Ces centres peuvent collecter des données sur l’utilisation des sols et la topographie, analyser les risques et utiliser des outils avancés tels que des modèles de villes virtuelles pour planifier des stratégies préventives.
Tirer les leçons des erreurs du passé permettra également d’améliorer la préparation aux futures catastrophes.
Parallèlement, les centres de réaction aux catastrophes devraient prendre en charge les plans de gestion des risques, organiser des exercices réguliers, investir dans les infrastructures essentielles, impliquer les communautés, mettre en œuvre des systèmes d’alerte efficaces et gérer les efforts d’évacuation, de sauvetage et de récupération.
Au niveau national, la coordination inter-agences fait défaut.
Les comités de gestion de l’eau et de prévention des catastrophes ne travaillent pas à temps plein et ne collaborent pas efficacement, et aucun centre opérationnel n’assure l’exécution de leurs mandats.
Le gouvernement doit donc créer des équipes professionnelles à plein temps pour superviser la gestion des bassins fluviaux et aider les universités à mettre en place des centres de recherche sur les catastrophes.
Les partenariats internationaux peuvent également contribuer à améliorer les systèmes d’alerte et les prévisions.
Il est tout aussi important d’adopter des lois pour donner plus de pouvoir aux gouverneurs.
Actuellement, les gouverneurs n’ont pas le pouvoir de coordonner toutes les agences de l’État dans leurs provinces, ce qui rend la prévention et la réponse aux catastrophes difficiles.
Le fait d’élever les gouverneurs au rang de « super PDG », dotés d’une autorité et d’un pouvoir accrus, permettrait d’assurer un leadership plus efficace.
Le gouvernement doit également se pencher sur l’utilisation des terres dans les zones inondables en réglementant les nouveaux développements, en limitant les développements existants et en supprimant les structures moyennant une compensation équitable.
Un zonage et une planification appropriés peuvent réduire considérablement les vulnérabilités.
« Nous ne pouvons pas éliminer les catastrophes, mais nous pouvons atténuer les risques.
Nous pouvons réduire les dégâts.
Nous pouvons sauver plus de vies », a déclaré Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations unies.
C’est vrai pour la Thaïlande, qui a vu l’impact dévastateur des inondations :
Des vies perdues, des maisons détruites et des milliards gaspillés.
Pourtant, des exemples comme Hat Yai et le Japon montrent que la préparation et la coordination permettent de sauver des vies et de réduire les pertes.
Les inondations sont inévitables, mais leur destruction n’a pas à l’être.
La Thaïlande doit agir de manière décisive pour mettre fin à son cycle d’inefficacité et se préparer à la prochaine tempête.
La question est de savoir si elle sera prête.
Cet article est adapté de la présentation des auteurs intitulée « Disaster Preparedness : Managing Natural Disaster Crises » lors de la conférence publique annuelle 2024 du TDRI, le 30 octobre 2024.
Toutelathailande.fr avec The Bangkok Post – 18 décembre 2024
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