La composition du Sénat thaïlandais, une grande manipulation ?
Le paysage politique thaïlandais est secoué par une confrontation entre le ministère de la justice et la faction majoritaire du Sénat, alors que les enquêteurs examinent les allégations de manipulation massive des votes dans le processus de sélection du Sénat.
Le ministre de la Justice, Thawee Sodsong, connu pour ses liens avec l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, résiste aux pressions croissantes alors que le Département des enquêtes spéciales (DSI) cherche à rassembler des preuves d’irrégularités électorales. L’enquête cible particulièrement les « sénateurs bleus », soupçonnés d’être affiliés au parti Bhumjaithai.
Des indices accablants
Les investigations du DSI ont révélé plusieurs anomalies troublantes. Des experts électoraux affirment que l’ordre final des sénateurs sélectionnés correspondait exactement à une « antisèche » découverte, un résultat statistiquement improbable.
Autre point suspect : la répartition géographique des élus. Treize provinces, représentant entre 68 et 80 députés, n’ont obtenu aucun siège au Sénat, tandis que d’autres régions affichaient une concentration anormalement élevée de sénateurs.
Des documents de l’enquête, datés du 3 février 2025, décrivent une opération impliquant environ 1 200 candidats. L’opération aurait inclus la distribution de chemises jaunes et le transport coordonné vers Muang Thong Thani lors du dernier tour de scrutin en juin 2024. Les enquêteurs pensent que l’opération a permis d’obtenir 138 sièges pour les candidats sélectionnés, avec deux réserves.
Vers des poursuites judiciaires
La DSI envisage de porter des accusations en vertu de plusieurs lois :
– La loi organique de 2018 sur la sélection des sénateurs
– L’article 209 du code pénal relatif à la conspiration en vue de former une société secrète à des fins criminelles
– La loi de 1999 relative à la lutte contre le blanchiment d’argent.
L’enquête qualifie cette affaire de réseau de criminalité organisée, impliquant des experts en informatique qui auraient programmé des calculs de vote et orchestré des groupes pour garantir des résultats prédéfinis.
Un blocage institutionnel
Face à ces accusations, la direction du Sénat, menée par son président Mongkol Surasajja, rejette catégoriquement la légitimité de l’enquête. Selon eux, il s’agit d’une ingérence inconstitutionnelle de l’exécutif, arguant que tous les sénateurs ont été élus légalement et validés par la Commission électorale.
Le sénateur Nantana Nantavorapass, qui ne fait pas partie du « Réseau bleu », estime cependant que l’intervention du DSI pourrait répondre aux préoccupations du public sur la légitimité du Sénat, d’autant plus après sept mois d’inaction de la Commission électorale.
Jeu d’échecs politique
Cette crise éclate à un moment délicat pour le gouvernement de coalition. Le parti Pheu Thai est sous pression après les privilèges accordés à Thaksin Shinawatra lors de sa détention dans un hôpital de police. Dans le même temps, des agences indépendantes, autrefois alignées sur l’armée, semblent désormais sous l’influence du Réseau bleu.
Pour ajouter à l’intrigue politique, des spéculations ont entouré une rencontre potentielle entre Newin Chidchob, la figure influente du parti Bhumjaithai, le Premier ministre Paetongtarn Shinawatra et Thaksin Shinawatra à l’hôtel Pullman Bangkok King Power, bien que la réunion ne se soit pas entièrement concrétisée comme prévu.
La réunion du comité des affaires spéciales (SCC), prévue le 25 février sous la présidence du vice-Premier ministre et ministre de la Défense Poomtham Wechayachai, sera décisive. Elle déterminera si le DSI peut ouvrir une enquête spéciale, une décision qui pourrait redéfinir l’équilibre des forces politiques en Thaïlande et peser sur l’avenir des institutions démocratiques du pays.
Gavroche-thailande.com – 26 février 2025
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