Le Myanmar, seul devant sa tragédie
La répression sanglante du mouvement populaire de contestation au coup d’État ayant renversé le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi au Myanmar a été largement critiquée par la communauté internationale.
Dès mars dernier, plusieurs États occidentaux, dont le Canada, ont fait part de leurs inquiétudes vis-à-vis d’une situation extrêmement tendue où l’inquiétant spectre d’une guerre civile semblait de nouveau hanter le pays.
Ces craintes s’avèrent en partie avérées aujourd’hui alors que prend forme une nouvelle tragédie, qui n’est pas sans faire écho aux épisodes troubles de violence politique ayant déchiré le pays sur plusieurs décennies. Pire encore : les références ambiguës et répétées de la communauté internationale à la « responsabilité de protéger » ne sont pas totalement étrangères à la radicalisation des révoltes et à l’incapacité de mettre en place un dialogue constructif avec la junte militaire.
Un soulèvement brisé
Dès le lendemain du coup d’État mené le 1er février par le général Min Aung Hlaing, les rues de plusieurs grandes villes, telles Naypyidaw et Mandalay, ont vu affluer de larges foules venues communiquer leur opposition au retour au pouvoir de la junte militaire. Un mouvement de résistance civile mis sur pied par des fonctionnaires et travailleurs de la santé a ensuite donné lieu à des grèves massives sur l’ensemble du territoire ainsi qu’à une multiplication des protestations populaires lors des semaines suivantes.
Confrontés à une mobilisation civile sans précédent, les chefs militaires à l’origine du coup d’État ont répliqué en s’appuyant sur un large appareil répressif incluant la fermeture d’Internet, des arrestations et des emprisonnements, en plus d’user de violence létale contre des protestataires pourtant non violents. Si ces exactions commises à l’endroit des populations ont d’abord eu un effet boomerang en donnant un second souffle aux manifestations, elles ont toutefois, sur le plus long terme, eu pour conséquence de désengager de nombreux civils des protestations — ces derniers craignant souvent d’être blessés ou tués par des forces militaires qui n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur les manifestants afin de broyer toute dissension.
La flambée de violences s’est également progressivement emparée de l’opposition dans les rues, où des protestataires ont notamment eu recours à des armes artisanales afin de répliquer aux brutalités des forces sécuritaires. De même, des milices rebelles issues des minorités ethniques ont affronté les militaires dans certaines régions du pays, instaurant dès lors un cycle de violences qui risque de transformer le mouvement populaire prodémocratie en insurrection armée.
Réaction internationale
La poussée dramatique des violences au Myanmar est en partie tributaire de l’absence de médiation effective, ajoutée aux attentes déçues de l’opposition vis-à-vis d’un Conseil de sécurité de l’ONU incapable d’agir, puisque bloqué par le veto de la Chine et de la Russie. En effet, malgré l’engagement de pays voisins, dont l’Indonésie, pour tenter d’enrayer la crise politique actuelle, les violences perpétrées par la junte à l’endroit des populations n’ont jamais cessé de croître. Il apparaît aujourd’hui, tandis que les révoltes s’essoufflent et que la pandémie achève de terrasser le mouvement civil de résistance, que la junte militaire est maintenant bien positionnée pour se maintenir au pouvoir.
Qu’en est-il donc du rôle de la communauté internationale ? S’agit-il d’un énième échec des Nations Unies à protéger une population soumise à des exactions répétées ? En réalité, les condamnations nombreuses des États occidentaux et les sanctions économiques instaurées en réaction au coup d’État ont paradoxalement fait obstacle à toute forme de compromis entre les belligérants.
D’une part, ces actions ont convaincu maints protestataires de l’éventualité d’un engagement plus soutenu de la communauté internationale en leur faveur, et de l’intérêt subséquent à dédier une part importante de leurs activités de résistance à des symboliques internationales ainsi qu’à escalader les violences en faisant le pari risqué qu’une intervention occidentale pourrait survenir si la junte persistait dans la répression.
D’autre part, ces condamnations ont fait monter la pression sur le régime, incitant dès lors la junte à mâter le plus rapidement possible la dissension afin de sécuriser son pouvoir. Finalement, il semble que les accusations des États occidentaux vis-à-vis des militaires, ajoutées à l’absence de réelle médiation internationale qui puisse permettre un dialogue entre les différents partis, ont radicalisé l’opposition vers la violence puisque de nombreux acteurs au sein de celle-ci estiment maintenant qu’il s’agit du seul moyen de contester le coup d’État.
Au moment même où le Myanmar commémore les soulèvements prodémocratie de 1988, le pays apparaît ainsi de nouveau seul devant sa tragédie, à la fois paralysé par les violences, le retour de la dictature et une crise sanitaire devant laquelle le personnel soignant, souvent en exil et menacé de représailles par les militaires, n’est malheureusement pas en mesure d’agir. Il ne reste donc maintenant plus qu’à compter les morts.
Par Jacob Fortier et Elio Charbonnier – Le Devoir – 10 août 2021
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