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Guerre du Vietnam : l’ultime combat d’une octogénaire victime de l’agent orange

Combattante pour l’indépendance du Sud Vietnam, Tran To Nga a été exposée à ce pesticide employé par l’armée américaine. Depuis, elle lutte pour que la responsabilité des groupes chimiques, qui ont fourni le défoliant, soit reconnue.

« Je suis une fille du Mékong. J’ai vu le jour le 30 mars 1942 dans un pays qui s’appelait encore l’Indochine. Mes parents ont œuvré pour son indépendance. Très jeune, j’ai participé à cette lutte. Mon père est mort en 1947 de maladie. Ce qui n’a en rien modifié l’engagement de ma mère. Alors que j’étais encore à l’école Marie-Curie de Saigon, elle me faisait transporter des tracts pour appeler à manifester pour un Vietnam libre. En raison de ses activités dans la résistance, elle n’était pas souvent avec moi, ni avec mes frères et sœurs. C’est ainsi que j’ai passé une partie de mon enfance auprès de mes grands-parents dans leur pâtisserie. Dès l’âge de 13 ans, j’avais été envoyée dans le Nord pour être mise à l’abri. Je ne prenais pas réellement conscience des risques pris par ma mère. Le 22 mai 1955, elle a été arrêtée pour trouble à l’ordre public et a été transférée dans un bagne au sud du pays. Depuis la conférence de Genève le 20 juillet 1954 et le départ de la France, le Vietnam était coupé en deux : le Nord, communiste et le Sud, une autocratie, alliée des Américains. »

Tran To Nga rejoint le Front national de libération du Sud Vietnam

« A 18 ans, je réalise mon rêve en rejoignant l’Union de la jeunesse du travail Vietnam. Je travaillais dans les chantiers, les rizières, les champs et les usines. Avec mes camarades, j’ai noué des relations fortes. A partir de 1965, les événements politiques s’enchaînent. Dans le Sud, la révolte gronde. Les Américains craignent que le pays ne devienne communiste. Leur présence se renforce : 180 000 soldats viennent soutenir le gouvernement de Saigon. Cette année-là, j’ai obtenu mon diplôme en chimie et je décide de rejoindre la résistance. Malgré la rudesse des combats et les bombardements au napalm, j’ai pris goût à cette vie dans la jungle.

Je suis devenue journaliste pour l’agence de presse du Front national de libération (FNL) du Sud Vietnam. Durant l’automne 1966, alors que je suis en train d’écrire un article, j’aperçois un avion C-123 de l’US Air Force voler à basse altitude. De ses entrailles s’échappe un nuage blanc. Tout à coup, une pluie gluante coule sur mes épaules. Je pense qu’il s’agit d’un banal herbicide et qu’une fois la guerre finie, la nature renaîtra. En réalité, l’agent orange commençait déjà à faire des dégâts dans mon organisme… »

L’agent orange, responsable de cancers et maladies génétiques

Le 30 juin 1968, ma première fille, Viêt Hai, naît dans le maquis. A cause de ce défoliant contenant de la dioxine, elle est atteinte d’une malformation cardiaque et décédera à l’âge de 17 mois. J’ai longtemps cru que c’était la conséquence de mon choix, celui de l’élever dans la jungle. Par la suite, j’ai eu deux autres enfants. L’une est atteinte d’alpha-thalassémie, une maladie génétique, l’autre de chloracné. Quant à moi, je souffre de nombreuses pathologies et notamment d’un cancer, dû aux épandages.

Après la guerre, j’ai été pendant plusieurs années directrice d’école, puis, à partir de 2008, je me suis tournée vers l’action humanitaire. C’est en visitant à Thai Binh, au sud-est d’Hanoi, une maison d’accueil de l’Association des vietnamienne des victimes de l’agent orange (Vava) que j’ai eu le déclic. J’ai vu l’horreur des effets de ce poison sur mes compatriotes. Après cette visite, tous mes problèmes de santé, ceux de mes proches avaient enfin une explication. Au printemps 2011, un laboratoire allemand, qui avait analysé mon sang, m’a confirmé que mon taux de dioxine était supérieur à celui admis dans les pays asiatiques non industrialisés. La confirmation scientifique de mon empoisonnement et celui de mes filles était enfin établie. »

Plainte contre les firmes Bayer, Monsanto, Dow Chemical

« Et dire que pendant longtemps, les Vietnamiens pensaient que les handicaps venaient des péchés commis dans des vies antérieures… Ma lutte contre l’agent orange ne faisait que commencer. En 2014, j’ai décidé, de porter plainte contre les firmes Bayer, Monsanto, Dow Chemical… Au total, pas moins de 26 géants de la chimie qui ont fourni le défoliant à l’armée américaine. En mai 2021, un procès s’est tenu à Evry (Essonne) au cours duquel le tribunal s’est déclaré incompétent pour juger ma plainte, mais mes avocats ont fait appel. D’une certaine manière, la justice a déjà gagné. Car lorsque j’ai commencé mon combat, personne ne savait ce qu’était réellement l’agent orange. »

80 millions de litres d’herbicides déversés

L’armée américaine a employé l’agent orange dans le but d’empêcher la végétation de servir d’abri à « l’ennemi » et provoquer sa famine. Au total, les Américains ont déversé 80 millions de litres d’herbicide de 1964 à 1973. Selon l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange (Vava), 4,8 millions de personnes ont été directement exposées au défoliant et plus de 3 millions en subissent encore les conséquences. « Des centaines de milliers d’enfants des 3e et 4e générations d’après-guerre, vivent avec ces malformations ( absence de membre, cécité, surdité, tumeur) », relève la Vava.

Par Guilherme Ringuenet – ça m’intérresse – 13 août 2023

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