Le dollar, roi controversé de l’économie cambodgienne

Dominé par le dollar depuis des décennies, le Cambodge cherche à renforcer l’usage du riel grâce à des politiques novatrices. Décryptage des causes, impacts et solutions envisagées.

Le Phnom Penh Post a publié récemment un article issu des réflexions de Veasna Kheng, professeur d’économie à l’université Monash de Melbourne, Australie, et de Mao Sonariddh, économiste senior au ministère de l’Économie et des Finances du Cambodge. Il s’y demandaient quelles sont les cause et les conséquences de la dollarisation de l’économie cambodgienne.

Une histoire de domination monétaire

Selon eux, au début du XXe siècle, le dollar américain s’est imposé comme la monnaie de référence mondiale. Cette réalité est particulièrement palpable au Cambodge. En 2016, un article du New York Times titrait : « In Cambodia, the Ghosts Prefer Dollars », illustrant l’omniprésence de cette devise. Salaires, biens, services et même certaines institutions publiques privilégient le dollar, soulevant la question de son ancrage si profond au sein du Royaume.

Les causes d’une dollarisation marquée

les deux économistes évoquent deux raisons principales qui expliquent cette domination. D’abord, le risque lié à l’inflation des monnaies locales a poussé les Cambodgiens à se tourner vers des devises étrangères comme le dollar, le baht thaïlandais ou le dong vietnamien. La confiance dans le riel avait déjà été brisée lorsque cette monnaie fut abolie durant le régime des Khmers rouges (1975-1979). La dépréciation significative du riel entre 1988 et 1991 n’a fait qu’aggraver la situation, bien que son taux de dépréciation se soit stabilisé à environ 2 % depuis les années 1990.

La deuxième cause, l’effet de réseau, joue un rôle clé : plus les gens utilisent le dollar, plus son usage devient pratique. Contrairement à d’autres économies très dollarisées comme le Laos ou l’Argentine, au Cambodge, le dollar est à la fois un moyen d’échange et une unité de compte, renforçant son emprise sur l’économie.

Les impacts de la dollarisation

L’utilisation du dollar offre des avantages et des inconvénients. Parmi les bénéfices, elle stabilise l’économie en période de crise, réduit le risque de change pour les transactions internationales, et attire les investissements étrangers grâce à la confiance qu’inspire la devise américaine. De plus, la dollarisation impose une discipline budgétaire en évitant au gouvernement de recourir à la planche à billets.

Cependant, les coûts sont élevés. Le Cambodge perd la seigneuriage (bénéfice généré par l’impression de monnaie), ainsi que le contrôle sur sa politique monétaire. L’absence de souveraineté monétaire empêche le pays de réagir efficacement aux déséquilibres commerciaux ou aux crises financières. En outre, la Banque nationale du Cambodge (BNC) ne peut jouer le rôle de prêteur en dernier ressort.

Les politiques pour promouvoir le riel

Face à ces défis, le Cambodge s’inspire de l’expérience réussie du Laos. Depuis 2023, le ministère du Commerce exige que tous les prix soient affichés en riel. D’autres mesures viennent renforcer cette initiative :

• Stabilité du taux de change : La BNC a adopté un régime de change flottant contrôlé pour ancrer la confiance dans le riel.
• Promotion des prêts en riel : Depuis 2016, les institutions financières doivent consacrer au moins 10 % de leurs portefeuilles de prêts au riel.
• Modernisation des paiements : Des systèmes numériques comme Bakong et le paiement QR transfrontalier facilitent l’usage du riel.
• Gestion budgétaire et fiscale : Le riel est priorisé dans les dépenses publiques, les salaires des fonctionnaires et la collecte fiscale.
• Développement du marché obligataire : Depuis 2022, des obligations d’État en riel diversifient les sources de financement.

Un défi de longue haleine

Pour les deux économistes, malgré ces efforts, la dollarisation est profondément ancrée au Cambodge, rendant le processus de dédollarisation plus lent. Cependant, avec des politiques rigoureuses et un suivi strict, le Cambodge pourrait progressivement retrouver une autonomie monétaire. Comme le dit l’adage, « mieux vaut tard que jamais » pour reprendre le contrôle de son destin.

Outre le Laos cité par les deux chercheurs, plusieurs pays, tels que le Vietnam, le Pérou, Israël ou la Russie, ont entrepris des démarches pour réduire leur dépendance au dollar américain en privilégiant l’usage de leur monnaie nationale. Ces initiatives visaient à renforcer leur souveraineté économique, à limiter leur vulnérabilité face aux fluctuations du dollar ou encore à stabiliser leurs finances après des périodes de crise.

Si des réussites notables, comme celles du Vietnam et d’Israël, montrent qu’une politique monétaire rigoureuse et des incitations adaptées peuvent favoriser une transition réussie, d’autres expériences, à l’instar du Zimbabwe, soulignent les écueils liés à une perte de confiance dans la monnaie nationale. Ces exemples mettent en lumière l’importance d’une approche progressive, d’un cadre économique solide et d’une stabilité durable pour assurer le succès d’une telle transition.

Lepetitjournal.com – 27 janvier 2025