En Birmanie, les enfants otages d’une guerre civile qui ne dit même pas son nom
Le 24 décembre 2021, une trentaine de civils, dont plusieurs enfants, auraient été tués par l’armée gouvernementale au pouvoir en Birmanie. Guillaume d’Aboville, directeur général d’Enfants du Mékong, raconte l’extrême gravité de la situation.
Alors que l’année 2021 s’est achevée en Birmanie dans les larmes et la douleur, l’année 2022 ne s’annonce malheureusement pas plus réjouissante. L’escalade de violence qui déchire le pays n’épargne personne, et surtout pas les enfants. Face à ce constat, la communauté internationale ne peut pas se contenter de condamner par les mots. Il faut des actes concrets pour protéger les enfants de Birmanie !
Le 24 décembre dernier, à la veille du jour de Noël, des soldats ont rassemblé plusieurs habitants entravés du village de Moso (État Kayah) dans une demi-douzaine de véhicules au prétexte d’arrestations avant d’y mettre le feu. Les suppliciés ont été brûlés vifs ! La Tatmadaw – armée gouvernementale de Birmanie – reconnaît les faits, mais affirme qu’il s’agissait de terroristes. Selon le porte-parole d’une ONG Karenni (l’ethnie locale) de défense des droits humains qui a visité les lieux, il s’agirait en réalité de civils dont plusieurs femmes et enfants. Un bébé ferait même partie des 35 victimes de ce crime affreux ainsi que deux membres de l’ONG Save the Children.
Combien de massacres ont été dissimulés avant que celui du 24 décembre à Moso ne soit médiatisé ?Guillaume d’Aboville
Depuis le coup d’État du 1er février 2021, le pouvoir de l’armée dans le pays est total. Elle doit cependant faire face au soulèvement d’une grande majorité de la population. D’abord pacifique, la résistance s’est intensifiée depuis plusieurs mois, en particulier dans les États ethniques Chin, Kachin, Kayah et Karen, au nord et à l’est du pays. Les groupes de défense populaires et les milices ethniques y mènent une guérilla à laquelle l’armée n’hésite pas à répondre en ciblant des civils.
Les méthodes de la Tatmadaw ne sont malheureusement que trop connues du monde entier depuis la crise des Rohingyas. Les nombreuses exactions recensées par les ONG et les défenseurs des droits de l’homme faisaient alors régulièrement les gros titres. L’armée aujourd’hui n’a pas changé de méthode mais la médiatisation est moindre du fait de la fermeture des frontières et du contrôle de la presse. Combien de massacres ont été dissimulés avant que celui du 24 décembre à Moso ne soit médiatisé ? La population, et particulièrement ceux qui appartiennent aux ethnies minoritaires, vit depuis de longs mois dans la peur la plus abjecte, celle qui fait craindre pour sa vie et celle de ses enfants, sans qu’aucun pays d’Occident ne réagisse.
Association de parrainage et de soutien d’enfants pauvres, Enfants du Mékong est présent depuis plus de 10 ans en Birmanie et collabore avec de nombreux bénévoles dans ces villages et ces États peuplés en grande partie d’ethnies minoritaires.Guillaume d’Aboville
Association de parrainage et de soutien d’enfants pauvres, Enfants du Mékong est présent depuis plus de 10 ans en Birmanie et collabore avec de nombreux bénévoles dans ces villages et ces États peuplés en grande partie d’ethnies minoritaires. Tous sont unanimes : ils ont de plus en plus de mal à croire en une possible amélioration de la situation. «C’est comme si une malédiction s’était abattue sur notre terre. Tous les jours des gens meurent à cause de la guerre» se désole l’un d’entre eux. Ils témoignent d’une radicalisation du conflit : «l’année qui vient sera pire encore».
Plusieurs de nos programmes historiques ont pour mission de lutter contre l’embrigadement des enfants soldats par la scolarisation des jeunes. La guerre civile rend cependant cette mobilisation complexe. En effet, si les écoles publiques accueillent de nouveau des élèves en Birmanie, c’est seulement sous l’égide et la protection de l’armée. De ce fait, seuls 20 % des effectifs scolaires sont réellement en classe. Les autres enfants sont livrés à eux-mêmes et certains recrutés à partir de l’âge de 10 ans pour rejoindre de force les milices ou l’armée. La jeunesse du pays se retrouve coincée entre le marteau et l’enclume, otage d’une guerre civile qui ne dit même pas son nom.
Le parrainage, aide financière et morale pour la scolarisation des enfants, s’est ainsi mué depuis plusieurs mois en un soutien aux familles pour couvrir leurs besoins essentiels en nourriture et en produits d’hygiène. Les soutenir fidèlement pour leur survie.
Nous soutenons également des initiatives du terrain pour tenter de créer une troisième voix pour ces enfants et éviter les décrochages scolaires : sessions de rattrapage scolaire, écoles informelles, foyers d’accueil, refuges, etc. L’éducation reste la meilleure «arme» pour lutter contre toute forme de pauvreté.
Ces actions peuvent se réaliser grâce au courage et la détermination de nos responsables birmans. Tous nos relais sur le terrain l’affirment : ils souffrent, ils ont peur mais ils ne se résigneront pas et ne perdront pas espoir.Guillaume d’Aboville
Ces actions peuvent se réaliser grâce au courage et la détermination de nos responsables birmans. Tous nos relais sur le terrain l’affirment : ils souffrent, ils ont peur mais ils ne se résigneront pas et ne perdront pas espoir. «Nous n’avons pas le droit de fêter Noël cette année mais nous sommes invités à le vivre ! Dans nos ténèbres, nous sommes mis au défi de briller. Dans notre lassitude, nous sommes obligés d’être forts. Dans notre pauvreté, nous sommes renforcés pour partager et soigner» nous confiait encore l’un de nos bénévoles au lendemain de cette crise. Cette force qui les anime nous oblige ! En tant qu’être humain, à soutenir leur espérance ; en tant qu’association d’éducation, à continuer par tous les moyens à agir concrètement pour l’instruction et à protéger les plus jeunes ; en tant qu’État, à ne pas se contenter de condamner par les mots mais à s’engager pour promouvoir la paix et le respect de la vie humaine et de l’innocence de l’enfance.
Par Guillaume d’Aboville – Le Figaro – 12 janvier 2022
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