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En Birmanie, le sinistre retour de la peine de mort pour mater la contestation

Quatre civils, dont deux icônes de la démocratie, pourraient être exécutés ces jours-ci. Dix-huit mois après son coup d’Etat, la junte militaire semble décidée à ressusciter cette pratique abandonnée depuis trois décennies.

La junte osera-t-elle ? Son commandant en chef, Min Aung Hlaing, a rejeté l’appel de quatre condamnés à mort, déposé début juin, et a ainsi lancé un compte à rebours qui tient la population et les familles des condamnés en haleine. Le traditionnel délai de quarante-cinq jours avant l’exécution arrive à échéance le 18 juillet. Accusés d’actes de terrorisme, Phyo Zeyar Thaw, Kyaw Min Yu, Hla Myo Aung et Aung Thura Zaw n’auraient plus que quelques jours à vivre.

Icônes de la démocratie

La pendaison de prisonniers politiques peut paraître anecdotique, dans un pays où les assassinats de civils sont devenus monnaie courante depuis le coup d’Etat de février 2021. Mais Phyo Zeyar Thaw et Kyaw Min Yu sont des icônes de la démocratie. En les exécutant officiellement, la junte franchirait une ligne qui n’a plus été dépassée depuis plus de trente ans, y compris par des régimes birmans à la brutalité largement établie.

«Je m’inquiète, chaque seconde, de ce qui pourrait leur arriver», raconte Thazin Nyunt Aung d’une voix pourtant assurée. Son mari, Phyo Zeyar Thaw, pionnier du hip-hop birman reconverti en député pour la Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi, jouit d’un immense soutien populaire. Son arrestation, le 18 novembre, a fait l’effet d’un coup de tonnerre auprès de la jeunesse et du monde des arts. Meneur de manifestations après le coup d’Etat, il est aujourd’hui accusé d’être à la tête d’un réseau de résistance à Rangoun, coupable d’attaques éclairs mortelles sur plusieurs bâtiments promilitaires.

Recours épuisés

Kyaw Min Yu, surnommé «Ko Jimmy», activiste et écrivain, est l’un des leaders de la révolution étudiante de 1988, et son visage, au front barré d’un bandeau rouge du parti d’Aung San Suu Kyi, est devenu un symbole. Recherché depuis les premiers jours du coup d’Etat, l’homme de 53 ans a été arrêté le 24 octobre 2021, à Rangoun.

Celui dont la simple apparition pendant les manifestations post-coup suffisait à haranguer les foules dans un rappel extatique des grandes heures de la révolution de 1988, est accusé d’incitation à la violence et d’actes de «terrorisme» pour son implication dans la résistance. L’activiste a été sévèrement battu lors de son arrestation, et sa famille affirme qu’il a été torturé en détention.

Hla Myo Aung et Aung Thura Zaw, eux, sont accusés du meurtre d’une femme soupçonnée d’être une informatrice de l’armée, dans le quartier populaire de Hlaing Thayar, à Rangoun. Inconnus de la population, les deux hommes ne bénéficient pas du même soulèvement populaire ou diplomatique en leur faveur. Leurs familles restent muettes dans les médias, par manque d’attention de ces derniers ou par peur de représailles.

Ni grâce «présidentielle» en vue, ni commutation possible d’après la junte : cette fois, il semblerait que tous les recours ont été épuisés. La population gronde. Une longue bannière de tissu, où l’on peut lire «Si les condamnations à mort sont maintenues, nous allons user de représailles», a été récemment suspendue sur l’un des ponts routiers les plus fréquentés du centre-ville historique de Rangoun.

«Détruire la junte sera mon combat»

Dans un pays entaillé de multiples lignes de fronts, où le régime continue à brûler des villages à tour de bras, l’exécution pourrait attiser la flamme de la vengeance et accentuer la violence entre les deux camps. Pour Thazin Nyunt Aung, exécution ou non, le point de non-retour a été franchi : «Je suis dévastée, mais je ne céderai jamais. J’ai décidé que détruire la junte sera mon combat, jusqu’à ma mort.»

Depuis le coup d’Etat le 1er février 2021, au moins 115 civils ont été condamnés à mort pour terrorisme, dont deux mineurs. Les tribunaux militaires ont désormais le pouvoir de juger les affaires civiles, un processus qui réduit presque à néant la possibilité d’un procès équitable et de voir une demande d’appel acceptée. Les quatre condamnés «n’ont pas pu voir d’avocat», confirme Thazin Nyunt Aung.

A l’annonce du rejet de la demande d’appel, le monde entier a commencé à plaider pour la commutation de leur sentence. Quelques pays aux relations plutôt neutres avec la junte, dont le Cambodge, se sont timidement opposés à l’exécution. Si certains activistes continuent à penser que les condamnations ne sont qu’un coup de bluff pour effrayer la résistance, d’autres sont plus pessimistes. «Min Aung Hlaing semble plus motivé par ses sentiments personnels et par la vengeance», écrivait le commentateur politique Naing Khit dans le média d’opposition The Irrawaddy, quelques jours après l’annonce.

Résistance inédite

La junte fait en effet face à une résistance inédite dans l’histoire des bouleversements politiques du pays, avec 309 des 330 subdivisions du pays en proie aux conflits armés. Aucun pays n’a encore reconnu officiellement le régime comme légitime, tandis que le Gouvernement d’unité nationale, flambeau de la résistance, continue à rencontrer, publiquement, politiciens et diplomates étrangers.

Aujourd’hui, les familles «n’ont toujours pas de contact ni d’informations sur l’état de santé [des condamnés]», raconte Thazin Nyunt Aung, et personne ne sait exactement où ils se trouvent. «Je continue à soutenir la révolution, seule, et avec mes camarades, nous faisons de notre mieux pour obtenir sa libération et celle des autres», ajoute l’épouse de Phyo Zeyar Thaw. Comme elle, le reste du pays compte les jours en attendant de voir si oui ou non, la junte franchira le pas.

Par Juliette Verlin – Libération – 15 juillet 2022

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