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En Thaïlande, la démocratie confisquée

En rendant impossible l’accession de « Pita », le leader du parti progressiste Move Forward, arrivé en tête aux législatives du 14 mai, au poste de premier ministre, le pouvoir en place bloque les aspirations légitimes d’une majorité de Thaïlandais et enferme le pays dans une impasse politique.

Les Thaïlandais ont voté sans ambiguïté aux élections législatives du 14 mai pour un jeune parti moderne et progressiste, Move Forward (« aller de l’avant »), arrivé en tête du scrutin. La coalition que celui-ci a choisi de former avec un autre parti, le Pheu Thai (Pour les Thaïlandais), la formation populiste et réformatrice liée à l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, aujourd’hui en exil, détient une majorité absolue confortable à la Chambre des députés. Mais cette coalition n’a pu élire comme premier ministre son candidat, Pita Limjaroenrat, 42 ans, la figure de proue du Move Forward, en raison d’un nombre insuffisant de voix en provenance du Sénat, dont les membres ne sont pas élus mais nommés par la junte militaire qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’Etat en 2014.

Ce dispositif, aidé par une justice aux ordres prompte à dissoudre les partis d’opposition, avait déjà permis lors des élections 2019 au général putschiste Prayuth Chan-o-cha de s’auto-reconduire comme premier ministre pendant cinq ans. Or, le Sénat issu du coup d’Etat a rejeté la candidature de « Pita » par un premier vote de blocage le 13 juillet, puis un deuxième, le 19 juillet, tandis que la Cour constitutionnelle a confirmé la suspension de son mandat parlementaire pour une argutie juridique. Ces manœuvres grossières persistent à dénier aux Thaïlandais le droit d’être dirigés par ceux qu’ils ont choisis.

Les Thaïlandais sont très conscients des efforts qu’ont déployés, dans les années 1980 et 1990, les Sud-Coréens et les Taïwanais, mais aussi leurs voisins indonésiens et philippins, pour installer chez eux une démocratie parfois imparfaite mais durable, où l’alternance issue des urnes est respectée par les camps politiques en présence. Jamais colonisée, la Thaïlande fut parmi les premières nations d’Asie du Sud-Est à organiser des élections parlementaires et à donner le droit de vote aux femmes après la « révolution de 1932 », en réalité un coup d’Etat antiroyaliste qui avait renversé la monarchie absolue pour faire du royaume de Siam une monarchie constitutionnelle.

Monarchie opaque

Or la grande majorité des premiers ministres qui ont depuis dirigé le pays sont des militaires. Quant à l’institution royale, elle va, à partir de l’après-guerre, recouvrer une grande partie de son pouvoir en pactisant avec l’armée dans une alliance du sabre et de la couronne à l’origine d’une dizaine de coups d’Etat. Le dernier d’entre eux, en 2014, a conduit à neuf ans de gouvernement des généraux au nom d’une transition sans accroc entre un roi adulé, Bhumibol Adulyadej (Rama IX), mort en 2016 après soixante-dix ans de règne, et un héritier beaucoup plus impopulaire, l’actuel roi Vajiralongkorn (Rama X). Tout comme l’armée, le Palais royal dispose de prérogatives et de ressources colossales, tout en exerçant un rôle politique opaque incompatible avec celui attendu d’une monarchie constitutionnelle moderne.

La victoire du Move Forward dans les urnes est celle d’un programme clair, ambitieux et détaillé de réformes, articulé autour de l’urgence de sortir la Thaïlande du « cycle de coups d’Etat » dans lequel semble être piégé ce pays de 71 millions d’habitants. Le parti propose de « démilitariser » la vie politique – en faisant rentrer l’armée dans les casernes et en réduisant une empreinte budgétaire et institutionnelle démesurée. De casser les monopoles constitués par les groupes d’intérêts gravitant autour du pouvoir. Et d’adoucir une loi de lèse-majesté d’un autre âge. En bloquant ces aspirations légitimes, le système au pouvoir confisque la démocratie de façon éhontée, en maintenant la Thaïlande dans une impasse politique, qui n’offre aucune perspective au pays.

Le Monde – 21 juillet 2023

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