La contrefaçon de livres : vaste et épineux problème
Comment préserver les auteurs, face au piratage de livres ? Est-ce simplement possible ? La complexité de la lutte devient effarante à mesure que le monde numérique gagne du terrain sur l’industrie du livre.
Plus un ouvrage se vend, plus il attirera l’attention des pirates, et voilà qui vaut aussi bien pour l’imprimé. Au Vietnam, le combat colle des cheveux blancs aux éditeurs, créateurs et véritables libraires, sans que ne se profile de remède .
Ici, comme ailleurs, la contrefaçon sévit et se montre particulièrement vivace sur le format numérique. Au Vietnam, toutefois, le papier n’est pas épargné, voire plus plébiscité sur le marché noir. Une situation qui desspère l’édition vietnamienne : semblable à la cigale de la fable, la bise est venue : les éditeurs se trouvent fort dépourvus.
Ce territoire d’Asie du sud-est se heurte aux mêmes problématiques que d’autres : des plateformes de vente en ligne — Tiki, Lazada, Shoppee, Sendo… — facilitent la création d’espaces marchands, sans aucun contrôle de qualité ni de légitimité. Sur ces marketplaces, se développent alors des boutiques de contrefaçons diverses et variées – le livre n’y échappe malheureusement pas.
L’absence de responsabilité légale pour ces opérateurs en ligne profite aux délinquants, qui échappent aux radars : sauf à ce qu’une demande intervienne, réclamant la suppression d’un article, le trafic va bon train, loin des regards.
Certaines maisons, comme Young Publishing House, ont recours à des systèmes de filigranes pour leurs ouvrages imprimés : une manière de distinguer le bon grain de l’ivraie. Au départ, il s’agit de certifier aux lecteurs, l’assurance qu’un livre est authentique. Or, très peur de Vietnamiens s’intéressent à la distinction entre exemplaire pirate et version officielle. Sans masse critique, le procédé n’aboutira à aucun résultat significatif. Reste alors la pédagogie, et là, le pays se heurte à un même déficit d’enthousiasme.
La lecture, véritable enjeu
Depuis 2007, le budget de l’éducation représente 20 % des dépenses publiques, souligne l’UNESCO. La scolarisation primaire universelle est instaurée depuis 2000 et le niveau d’alphabétisation augmente : de 94,5 % chez les adultes en 2013, il est passé à 95,8 % en 2019.
En 2020, le lauréat d’un Prix d’alphabétisation remis par la branche de l’organisation interétatique (prix Roi Sejong, en 2016) s’était d’ailleurs lancé dans un projet en faveur du droit des enfants à la lecture. « Nous pouvons ouvrir la voie à un monde démocratique, pacifique, humain et innovant en renforçant le droit de lire pour les enfants du monde entier. Je veux faire une marche en Inde pour appeler les gens à construire des bibliothèques pour tous les enfants », expliquait-il à la remise de sa récompense.
Le programme Des livres pour les zones rurales du Vietnam, pour lequel il avait été salué, est désormais décliné en Inde. Fin 2020, 37 bibliothèques avaient vu le jour.
En 2016, le pays comptait « un réseau de 17.022 bibliothèques et de salles de lecture publiques, dont 59 bibliothèques privées (MOCST, 2016) afin de renforcer l’accès au livre et aux autres supports de lecture et d’encourager la lecture », note l’UNESCO. Des avancées qui portent la lecture – peut-être pas la consommation en librairies.
Nguyễn Hương Lan ouvrait fin 2016 sa librairie Blue Horizon, à Hanoi, un établissement tourné vers les œuvres francophones. « Depuis une trentaine d’années, le marché des livres du Vietnam a connu une belle croissance. On est passé d’un pays fermé à un pays ouvert au monde, aussi bien sur les plans économiques que culturel », nous expliquait la libraire. Mais loin des grandes villes, loin du cœur et plus loin encore d’une offre de livres.
Contrôles à renforcer
Pas faute pourtant d’avoir introduit des outils législatifs pour réprimer la contrefaçon et dissuader les petits margoulins : en novembre 2013, le décret 159/2013/ND-CP fixe une amende de 20 à 30 millions de dongs (851/1277 €, quand le salaire moyen est de 117 €) pour l’impression de 300 exemplaires ou plus.
Sauf que les structures prises la main dans le pot à cookies préfèrent alors s’acquitter de l’amende, tout en poursuivant, plus discrètement et plus efficacement, leurs délits. La directrice générale de City Book Publishing, Pham Thi Hoa, a récemment suggéré auprès des autorités que soient renforcés les contrôles dans les imprimeries, ainsi que sur les plateformes — voire, chez les éditeurs. Dès lors qu’un ouvrage se monnaie avec une remise de 50 à 70 %, il y a anguille sous roche.
En outre, des sanctions engageant la responsabilité pénale auraient un effet dissuasif, poursuit-elle. Parce qu’avant d’assister à un boycott des ouvrages contrefaits par les lecteurs, il risque de couler de l’eau dans le Fleuve rouge. La qualité et le soin que mettent les véritables éditeurs dans la conception de leurs titres n’ont, pour l’heure, pas encore fait la différence aux yeux des consommateurs.
Légiférer plus durement
Le directeur de First News, Nguyen Van Phuoc, effaré devant l’ampleur du piratage — qui touche jusqu’aux livres audio – pointe le réel danger pour les entreprises culturelles et leurs salariés, et leurs auteurs. De fait, les produits contrefaits affectent le chiffre d’affaires, certes, mais ils introduisent en plus des éléments erronés, sont fabriqués sur des papiers de mauvaise qualité et portent atteinte à la réputation même des éditeurs. Un cercle sans fin.
D’autant qu’il ne suffit plus de surveiller les plateformes de cybercommerce : les réseaux sociaux servent, depuis quelque temps eux aussi, à conclure des transactions. Et la période pandémique de 2020 n’a absolument pas aidé à juguler la crise — l’avantage économique prenant le pas, aux yeux des clients, sur la qualité globale (encre, papier, finition, couverture, etc.).
Alors, faut-il pousser le législateur vers des solutions qui sanctionneraient plus durement le piratage ? Tant que les imprimeurs gagnent de l’argent en produisant des œuvres illégalement, pourquoi s’arrêter ? On imagine mal, avec une démocratisation de l’impression à la demande, comment mettre un terme à ce marché noir. Surtout si le produit fini gagne en qualité.
Le cas de l’audiolivre
Tout ce qui brille n’est pas d’or, mais attire l’attention : le livre audio, tendance montante dans l’industrie du livre au niveau mondial, se retrouve également au Vietnam. Populaire auprès de jeunes auteurs, eux-mêmes devenus consommateurs, ce format simple et confortable, à l’abri de son smartphone, fait des émules. Et donc, avive la flamme des pirates — qui ne se préoccupe définitivement pas des modes.
Des ouvrages lus et enregistrés, puis diffusés sans autorisation aucune circulent sur le marché — provoquant comme on l’imagine, la frustration et l’agacement des créateurs. Et si Facebook est, pour les pirates vietnamiens, un terreau fertile pour vendre du livre papier contrefait, assez logiquement YouTube offre un espace idéal pour les producteurs d’audiobooks illégaux. Dès 2015, ActuaLitté établissait un état des lieux déplaisant pour l’édition française de cette offre pirate. Et l’audiobook était encore loin de susciter la curiosité. Si les efforts pour défaire les ebooks illégaux ont accaparé une grande partie des efforts, force est de constater que 7 ans plus tard, la plateforme vidéo de Google reste un must-have.
Les demandes de retraits d’œuvres audio que dénichent les éditeurs ne résolvent rien : mesure temporaire, elle n’a aucun effet durable. Quelques mois, semaines, voire jours plus tard, un nouveau compte surgit, partageant les mêmes contrefaçons. Une bibliothèque gratuite pour audiolecteurs en mal d’écoute : les formules d’abonnements fourniront certainement une alternative à l’avenir. Dans l’intervalle…
On rétorquera que fabriquer un livre numérique à partir d’une version papier prend du temps. Celui de l’enregistrement d’un audiobook n’en demande pas moins — sinon plus. Et de toute manière, cette donnée n’arrête manifestement pas les producteurs d’œuvres illégales. L’essor et la médiatisation des podcasts, autant que des audiolivres ne fonctionnent alors que trop bien : les jeunes lecteurs, au Vietnam, se tournent vers les plateformes pour s’approvisionner.
Un fameux paradoxe : le format audio représente un potentiel relais de croissance, pour un secteur qui en a grandement besoin. D’un côté, les coûts de production contraignent certains à signer avec Audible (filiale d’Amazon), avec des clauses de distributions exclusives. De l’autre, la médiatisation attise l’intérêt : pari gagné, pour l’offre légale autant que hors la loi. Le serpent n’en finira donc pas de s’engloutir.
L’un des derniers exemples que recense Zing News fait froid dans le dos : deux nouvelles de l’écrivain Bui Thanh Thuy, enregistrées et diffusées… par une station de radio locale, sans permission aucune. Mais l’achat des licences d’utilisation coûte cher, et le respect du droit d’auteur, définitivement, a besoin d’être entendu…
Dernier coup de bambou : le pays exerce une pression forte sur les créateurs, à l’image de l’écrivain et journaliste Pham Chi Thanh, condamné en juillet 2021 à cinq ans et six mois de prison ferme. La liberté d’expression, autre enjeu, à ne pas décorréler trop hâtivement de la question du piratage.
Par Nicolas Gary – Actualitte.com – 27 août 2022
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