La campagne de vaccination cambodgienne est-elle exemplaire ?
Sam Rainsy est le chef de l’opposition cambodgienne en exil. Il vient de réitérer un appel pour être autorisé à rentrer au Cambodge. Son avis sur la gestion politique du royaume n’est donc pas neutre. Mais au fil des mois, la qualité de ses analyses sur la pandémie n’a jusque là pas été prise en défaut. Il passe ici en revue les performances vaccinales cambodgiennes.
Dans la lutte contre la pandémie du COVID-19 on peut remarquer les taux de vaccination impressionnants réalisés par le Cambodge. A la mi-novembre 2021, 79,0% de la population cambodgienne a été complètement vaccinée avec deux doses, ce qui place ce petit pays dans le peloton de tête en Asie où seul Singapour a fait mieux avec un taux de vaccination complète de 82,7%. La Corée du Sud, la Malaisie et le Japon n’en sont qu’à respectivement 77,2%, 76,6% et 75,2%.
Mais que cache cette belle performance vaccinale affichée par le Cambodge ?
Pour des raisons politiques et diplomatiques aussi bien que financières, la quasi-totalité des vaccins utilisés au Cambodge jusqu’à ce jour est d’origine chinoise (Sinovac et Sinopharm). S’il y a un pays où la « diplomatie du vaccin » a joué à plein, c’est bien ce petit royaume khmer que Hun Sen a placé dans l’orbite chinoise comme le montrent notamment les facilités portuaires et aéroportuaires octroyées par Phnom Penh à Pékin à un moment où les tensions régionales autour de la Mer de Chine du Sud ne cessent de croître.
Le Cambodge est effectivement le seul pays pauvre qui a reçu plus de vaccins qu’il n’en a besoin grâce aux largesses chinoises. Hun Sen s’est même permis d’offrir des centaines de milliers de doses de vaccins Sinovac ou Sinopharm qu’il a en trop au Vietnam, au Laos et en Birmanie.
Vitrine politique devenue aussi vitrine sanitaire de la Chine, le Cambodge s’efforce de promouvoir les vaccins chinois. Hun Sen en fait un usage forcené en faisant fi des libertés individuelles et des choix personnels des citoyens et en affichant un mépris pour les règles de précaution auxquelles s’astreignent les pays plus développés où l’opinion publique compte.
Hun Sen a ainsi décrété la vaccination obligatoire pour tous. Les fonctionnaires et employés des secteurs public et privé qui n’auront pas été vaccinés au-delà d’une date impartie, seront licenciés. Tous les enfants et adolescents au-dessus de 12 ans doivent aussi être vaccinés. Puis le seuil de l’âge pour la vaccination obligatoire a été abaissé à 6 ans, sous peine pour ces tout jeunes enfants d’être renvoyés de l’école. C’est en fait une mise en garde à l’égard des parents qui n’ont pas le droit d’avoir des états d’âme sur les risques imposés à leurs enfants.
Obligation vaccinale
Cette obligation vaccinale pour les moins de 12 ans a été édictée sans l’agrément de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Dans le but de satisfaire la Chine qui trouve ainsi au Cambodge un terrain d’expérimentation pour ses vaccins, Hun Sen a décidé de devancer tous les pays développés qui sont encore au stade d’études cliniques pour ce qui est de la vaccination des enfants. En effet, en Europe et en Amérique du Nord, on se demande encore s’il faut vacciner les enfants et, le cas échéant, avec seulement un tiers de la dose réservée pour les adultes. Hun Sen — qui décide lui-même de tout — ne s’est embarrassé d’aucune considération scientifique ni d’aucune règle de prudence. Pour lui, l’essentiel est d’atteindre au plus vite le plus haut taux de vaccination.
Le problème réside — corollaire d’un choix politique antérieur plus vaste — dans la dépendance presque exclusive à l’égard des vaccins chinois. Or ceux-ci ne semblent pas présenter une efficacité optimale selon les études comparatives les plus crédibles qui ont été effectuées au plan international. Les vaccins chinois ne sont recommandés ni en Europe ni en Amérique du Nord.
Efficacité vaccinale variable
Par rapport à d’autres pays affichant un taux de vaccination proche de celui du Cambodge (à partir de 80% des populations cibles) mais utilisant des vaccins produits aux États-Unis et en Europe, on relève des différences dans les taux de mortalité qui peuvent témoigner d’une différence d’efficacité entre les différents vaccins.
Si l’on considère le nombre des décès dus au COVID-19 sur une période récente de plusieurs mois et si l’on décompose ce nombre entre vaccinés et non-vaccinés, on voit qu’au Cambodge les vaccinés (avec un vaccin chinois) représentent 33% des morts alors que dans un pays comme la France ou le Royaume-Uni, les vaccinés (avec un vaccin américain ou européen) représentent moins de 10% des décès.
Sachant que les vaccins chinois sont relativement moins efficaces et craignant peut-être leur possible dangerosité, Hun Sen lui-même s’était fait administrer le vaccin anglo-suédois AstraZeneca.
Dans le monde entier se pose maintenant la question de l’administration d’une troisième dose (« booster ») destinée à renforcer et prolonger l’immunité procurée par les deux premières doses de vaccin. Quelles que soient les deux premières doses utilisées, un grand nombre de scientifiques recommandent pour la troisième dose un vaccin à « ARN messager », c’est-à-dire l’un des deux vaccins Pfizer ou Moderna.
Pour répondre à cette nouvelle exigence, le Cambodge doit se sortir de sa dépendance quasi-exclusive à l’égard des vaccins chinois. Tout récemment, Hun Sen s’est adressé au premier ministre australien pour lui demander de réaliser au plus vite une promesse de Canberra de fournir au Cambodge plusieurs millions de doses du vaccin américain Pfizer.
Trois millions de doses australiennes
Le 8 novembre on apprend que l’Australie va livrer au Cambodge 3 millions de doses d’un vaccin occidental, dont 1 million arrivera avant la fin de l’année. D’ici là, le Cambodge aura reçu gratuitement 2 millions de doses supplémentaires de vaccins chinois alors que plus de 100% de la population cible (10 millions d’adultes) ont déjà été vaccinés comme le sont 98% des enfants et adolescents entre 12 et 18 ans.
A la différence de nombreux autres pays pauvres le Cambodge croule littéralement sous les vaccins grâce à ses bonnes relations avec la Chine. Mais les taux records de vaccination n’assurent pas forcément une fin rapide de la pandémie compte tenu de multiples autres facteurs qui entrent en jeu.
Le Cambodge a perdu beaucoup de temps à cause de l’ignorance, de l’obstination politique et de la corruption de ses dirigeants.
Le pays a pendant longtemps — même au plus fort de la pandémie — maintenu ses frontières ouvertes. Les liaisons aériennes ont toujours été maintenues avec la Chine, notamment avec la ville de Wuhan, l’épicentre de la pandémie. Le 18 février 2020 Hun Sen a déclaré que le COVID-19 n’arriverait au Cambodge que le « 31 février », autrement dit « jamais ». Il a interdit que l’on porte des masques en sa présence. Dans le même temps, son ministre de la santé Mam Bunheng a « rassuré » le public en affirmant que le COVID-19 ne pourrait pas sévir dans un pays chaud comme le Cambodge car « le coronavirus ne survivrait pas à une température supérieure à 30 degrés Celsius ».
L’explosion du COVID-19 est survenue au Cambodge le 20 février 2021 quand un groupe de visiteurs chinois placés théoriquement en quarantaine, ont soudoyé des fonctionnaires cambodgiens chargés de les surveiller et ont pu se déplacer librement dans tout le pays.
Rattraper le temps perdu
Est-ce pour rattraper le temps perdu et corriger ses bévues que Hun Sen fait preuve maintenant d’un zèle vaccinal au détriment des libertés et des précautions les plus élémentaires?
Autre exemple des méthodes de gestion très particulières à Hun Sen: pour cacher la récente recrudescence des contaminations, le dictateur a décidé tout seul et subitement de mettre un terme aux tests antigéniques ou tests rapides sous le prétexte qu’ils ne sont pas assez fiables. Il doit cependant savoir que dans d’autres pays où il existe un conseil scientifique pour assister les dirigeants politiques à prendre des décisions complexes, ces tests antigéniques doivent être utilisés en parallèle et en complémentarité avec les tests moléculaires dits tests PCR (qui sont plus longs, plus complexes et plus coûteux à réaliser) afin de mesurer au plus vite et de manière la plus fiable possible l’évolution des contaminations.
Le cas du Cambodge montre clairement qu’un dictateur a tendance à décider tout seul, de tout, même dans des domaines qui requièrent des connaissances et expériences qu’il n’a pas. Il y a un danger certain à confondre politique et santé publique.
Par Sam Rainsy – Gavroche-thailande.com – 18 novembre 2021
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